L’affirmation d’une marque (1875-fin du XIXème siècle) 

 

1. L’importance des voyages de A. Hubinet
1.1. L’insertion dans les "structures locales du négoce"
1.2. L’environnement concurrentiel

2. Le travail sur un marché
2.1. Le mode de représentation
2.2. La définition d’une politique
2.3. Le recrutement d’un agent

3. La gestion d'une ressource
3.1. Le suivi des affaires
3.1.1. La situation de la marque
3.1.2. Opérer les réajustements
3.2. Une emprise nouvelle sur ses agents
3.2.1. S'assurer du travail des agents
3.2.2. Faire prévaloir ses intérêts

 

Chapitre VIII :   L’extension du réseau commercial

 

La mise en place d’un véritable réseau d’agences représente, à notre sens, une étape dans le développement de la maison Pommery, dans la croissance de ses ventes[1], mais également dans l’emprise qu’elle exerce sur ses intermédiaires. C’est ce que révèle l’étude de leur implantation et de leur suivi[2]. C’est à A. Hubinet que revient cette responsabilité. Outre qu’elle lui confère un rôle central au sein de la Maison, elle est révélatrice des rapports privilégiés qui unissent la Maison à son agent anglais. Cette responsabilité l’amène sans doute à en intégrer le "groupe dirigeant", notamment à partir de 1883 lorsqu’il devient Directeur Général de toutes les Agences[3].

 

1.                L’importance des voyages de A. Hubinet 

 

Dès la seconde moitié des années 1870, A. Hubinet consacre une grande partie de ses efforts à voyager pour le compte de la Maison. Ses voyages sont essentiellement de deux types. D'une part, il recueille toutes les informations pour déterminer les modalités d'implantation des agences ou pour y recruter un agent. D’autre part, il assure le suivi des affaires sur les différents marchés, réorganise éventuellement le travail. Deux thèmes constituent l’essentiel de sa correspondance dans cette optique.

 

1.1.         L’insertion dans les "structures locales du négoce"

 

Ce que nous appelons ici "structure locale du négoce" renvoie aux lieux et aux personnes qui exercent une influence sur le négoce du champagne, qu’il s’agisse de négociants ou d’hôteliers/restaurateurs. La connaissance de ces structures est inséparable des démarches que A. Hubinet effectue pour faire connaître la marque.

 

A l'instar du marché anglais, A. Hubinet s'intéresse avant tout aux principales maisons (ou restaurants) d’une place, celles qui réalisent le plus d’affaires en champagne. Il est de la plus haute importance de connaître ces maisons, leur influence sur les affaires, ceux qui les dirigent. Il lui arrive d'ailleurs de préparer un voyage en recueillant ces informations auprès d'anciens agents ou de négociants[4]. Sur place, il multiplie les visites afin de se faire lui-même une opinion sur le crédit de telle ou telle maison. C’est un travail systématique qu’il effectue lorsqu’il arrive sur une place[5]. Ces visites doivent lui permettre de faire connaître la marque - notamment par des dégustations -, mais également de mesurer le poids du négoce local. Il arrive que les négociants n’aient qu’une influence réduite sur le cours local des affaires, comme sur la place de Vienne par exemple :

 

         « […] Il travaillerait surtout l’hôtelier et le restaurateur qui forment la vraie clientèle de gros de l’Empire d’Autriche, où le négociant ne compte pas ; il n’achète que ce qu’il est forcé d’acheter et le vend presque sans bénéfice ; il vend de la contrefaçon quand il peut, aussi le public n’a-t-il pas confiance en lui et quand on veut acheter des vins fins pour un dîner à Vienne, les achète-t-on d’un hôtelier. Ce que les négociants achètent de marques vraies est tout à fait insignifiant. »[6]

 

Ces extraits mettent en évidence la faible influence des négociants en vins sur la place de Vienne, à tel point que les consommateurs les contournent : quand les Viennois veulent des vins fins, ils les importent directement[7] ou ils les achètent à un hôtelier. Le jugement de A. Hubinet doit être compris dans la perspective du développement de la marque Pommery. Son intérêt se porte avant tout sur le "potentiel" que représentent les négociants dans cette optique. Le marché viennois ne présente à cet égard, apparemment, qu’un intérêt limité. Le potentiel n’est pas là pour pousser une marque revendiquant sa spécialisation dans les vins fins comme la marque Pommery : ils vendent avant tout des contrefaçons et « le public n’a (....) pas confiance ». Il ne s’agit pas ici de n’importe quel public, mais bien évidemment de celui concerné principalement par l’achat de champagne, à savoir les classes aisées, celles qui organisent les dîners. Etant donné le faible crédit dont les négociants bénéficient auprès de ce public, les négociants viennois ne peuvent être d’aucune utilité pour la marque Pommery. Ils risquent même de la desservir en la discréditant aux yeux des principaux consommateurs, et finalement en portant atteinte à sa réputation. L'intérêt de connaître ces circuits ne peut nous échapper dans la perspective du développement des affaires. Il est d’autant plus nécessaire de mesurer le poids du négoce local qu’il donne une image très diversifiée d'une place à l'autre au XIXème siècle. C'est en effet l’échelle locale, au niveau d'une place, qui est la plus pertinente pour saisir ses structures. Une ville comme Bruxelles, par exemple, est dominée par les restaurateurs[8], alors que les autres villes de la Belgique ne semblent subir l’influence d’aucun intermédiaire particulier[9]. Moscou se démarque de Saint Petersbourg par l’influence de quelques maisons de négoce.

 

A. Hubinet ne se contente pas de recueillir des informations en vue de développer les affaires. Il contribue également à constituer un "capital relationnel" en faveur de la marque : il repère, sur chaque place, les intermédiaires obligés, ceux qui sont capables de la pousser et d’en assurer le succès. Nous avons déjà souligné par ailleurs l’importance de disposer de relations attachées à la marque, qui l'apprécient et la prônent : elles représentent une ressource non négligeable, notamment pour sa notoriété[10]. Par son expérience de représentant, A. Hubinet est sans doute le mieux à même de les reconnaître et de les attacher à la marque. Là encore, ce travail se rapproche de ce qu'il a pu faire sur le marché anglais, où il n'a pas ménagé ses efforts, ses visites et les dégustations pour faire connaître la marque et l'aider à percer. En l'occurrence, sur la plupart des marchés et des places qu'il visite, la marque est relativement peu connue, pour ne pas dire inconnue. Ainsi, lorsqu’il effectue son deuxième voyage en Russie, en décembre 1875, les vins qui ont été expédiés aux négociants de Saint-Pétersbourg  ne sont pas écoulés, en raison même de la faible notoriété de la marque Pommery[11].

 

1.2.         L’environnement concurrentiel

        

         La place qu’occupent les références concernant les affaires des autres maisons de champagne - toujours les plus en vogue sur le marché où elle cherche à s'implanter - permet de mesurer l'ambition de la maison Pommery : s’adapter pour rivaliser avec les marques les plus vendues. Cette ambition est un trait remarquable, systématique quel que soit le marché, au moins dans le discours de A. Hubinet. La perception de cet environnement touche à de nombreux aspects : le(s) vin(s) et leurs prix, leur agent ou les hommes qui poussent leur marque, le succès ou les difficultés de telle ou telle maison, leur politique, leurs pratiques etc… La connaissance de cet environnement est évidemment capitale pour la maison Pommery car elle lui permet de prendre la mesure d'une place ou d'un marché, de ses exigences.

 

Le vin expédié par les principales maisons illustre ce propos. C'est l’élément qui reçoit en effet l'intérêt le plus vif. Il s’agit avant tout pour A. Hubinet de prendre la mesure du goût sur des marchés que la Maison ne connaît pas ou peu. Dans cette optique, seules les marques qui rencontrent le plus de succès présentent un intérêt. Ce sujet fait l’objet d’un long traitement dès la deuxième lettre que A. Hubinet adresse à la Maison lors de son premier voyage en Russie :

 

         « [...] Ils achètent principalement le Roederer "Sillery", un vin à 5.50 pris à Reims. Je croyais qu’ils avaient supprimé cette sorte partout, il y a longtemps qu’ils l’ont fait en Angleterre. J’ai dégusté le Roederer dans deux restaurants : l’un avait une étiquette blanche "Louis Roederer" et se vendait 5 roubles, l’autre portait une étiquette dorée et était vendu comme supérieur à l’autre 5 roubles 50. L’étiquette dorée est un monopole d’une des trois premières maisons de Petersbourg. Les deux vins sont de la même cuvée. Un fond maigre et un bouquet qui ressemble bien au Bourgogne. Le vin est jaune verdâtre, sucré à 18 ou 20%. J’ai bu aujourd’hui du Clicquot qui est peu demandé (1 Clicquot, 1 Moët sur 10 Roederer). J’ai trouvé le vin excellent. C’est du 1870 à 16% environ. J’ai regardé une bouteille de Moët, c’était du vin rosé. D’après les renseignements que j’ai reçus jusqu’ici, je crois que c’est le Heidsieck & C° qui suit le Roederer, quoique de loin, au point de vue de la quantité. Dans un restaurant de premier ordre qui m’avait été recommandé par Lord Loftus, on m’a dit que le "Sillery Sec" de Heidsieck & C° commençait à bien marcher. J’en ai demandé une bouteille, j’ai trouvé le vin corsé opéré à 8 environ assez foncé en couleur, commun de bouquet, arrangé probablement avec du vin vieux et, je crois, alcoolisé. Ce n’est pas un type à choisir, et je crois que ce qui le vend c’est son titre de "Sillery Sec". Eliseeieff m’a dit qu’il ne s’en vendait pas 40 caisses par an[12]. J’ai dîné aujourd’hui au restaurant Tartare qui est fréquenté par les Grands Ducs, par les Gardes, etc...quand ils ne vont pas au restaurant Dusaux. Les Grands Ducs et leurs amis demandent du Roederer et du Heidsieck & C°, "Vin de Cabinet". Je n’ai pas encore dégusté ce dernier vin, je le ferai demain. »[13]

 

         Ce passage est capital pour bien comprendre le travail de A. Hubinet. Quand il parle de « type à choisir », il sous-entend un type de vin dont la Maison peut se servir comme référence pour l’élaboration de son propre vin destiné à ce marché. Toutes ses démarches vont dans ce sens. Il a commencé par demander à Elisseeief Frères, la maison la plus importante de la ville, le type de vin qu’ils achètent en plus grande quantité. Il a dégusté par la suite deux genres différents de Roederer - marque qui domine largement le marché russe. Puis, il s’est intéressé aux vins des marques les plus vendues après le Roederer et aux vins en vogue dans l'aristocratie, qui exerce une grande influence sur le goût et sur le succès d’une marque. Dans ces démarches, la dégustation joue un rôle important, pour déterminer précisément le dosage et le contenu de ces vins. Elle lui permet de se faire une idée précise du "goût russe" en général, et donc de cerner les exigences auquel le vin de la maison Pommery doit répondre pour percer. A. Hubinet est arrivé à St Petersbourg le 17 mars au soir. Trois jours plus tard, il est en mesure de définir le type de vin qu’il pense convenir le mieux pour le marché russe - même si ce n’est là « qu’une première impression ». D'autres extraits nous confirment qu’il effectue des démarches similaires sur les autres marchés où la Maison cherche à s’implanter :

 

         « [...] A Copenhague, le vin qui se vend le mieux est le Clicquot. A Gothembourg, c’est le Heidsieck & C° à 4.25 à Reims, puis le Clicquot à 5.25. Heidsieck et Clicquot battent la grosse caisse en faveur des 18?? Et l’on en demande. J’ai vu le Clicquot 1874 ; c’est celui que vous connaissez ; j’avais l’intention de goûter le Heidsieck, mais je n’en ai pas eu l’occasion. Je le ferai à Stockholm. Le C.B. 226/20[14] ira très bien pour Gothembourg. Le Sec 226/15 est certainement assez sec. »[15]

 

         La lettre dont est extrait ce passage est la première dont nous disposons du premier voyage que A. Hubinet a effectué en Scandinavie - voyage dont l’objectif affiché est d'étudier les possibilités d'une agence. A l'instar du marché russe, il y déguste les vins les plus en faveur sur le marché scandinave - à savoir le Clicquot et le Heidsieck & C°. Il s'agit là d'un élément fondamental pour l'implantation de la marque sur ce marché et pour sa réussite. Il n'est pas impossible en l'occurrence qu’il pallie un manque : la maison Pommery a compté un représentant sur ce marché depuis la fin des années 1860 jusqu'en 1875. A la différence d'un représentant ou d'un agent normal, A. Hubinet présente le grand intérêt d'être un dégustateur averti, connaissant bien la gamme des vins de la Maison, et donc capable de définir le vin le mieux adapté.

 

2.                Le travail sur un marché

 

Les attributions de A. Hubinet ne se limitent bien évidemment pas à ces voyages. S’appuyant sur les informations qu’il a collectées, il joue un rôle de conseiller quant à la manière de "travailler" un marché.

 

2.1.         Le mode de représentation

 

Le mode de travail d’un marché dépend avant tout de ses caractéristiques – de ses structures de commercialisation – mais également de l’intérêts qu’il représente pour la Maison. Parfois, l’implantation d’une agence ne s’impose pas toujours comme la meilleure solution. C’est le cas de l’Italie par exemple. En 1879, la Maison étudie la question de l’établissement d’une agence dans ce pays[16]. Nous savons que A. Hubinet y a effectué un voyage « afin d’étudier sur place les avantages que pourraient procurer [à la Maison] une agence établie dès maintenant dans [cette] contrée »[17]. S’il étudie les avantages d’une éventuelle agence, c’est que cette forme de représentation n’est pas toujours profitable. Les renseignements recueillis l'amènent d'ailleurs à renoncer à établir une agence :

 

         « […] D’après les renseignements recueillis sur le marché italien, nous avons conclu à l’inutilité de chercher à y étendre nos rapports. Nos vins sont trop secs et surtout trop chers. »[18]

 

         Les renseignements fournis par A. Hubinet ont dans ce cas mis en évidence le faible potentiel que représente le marché italien pour la Maison. Ce n’est pas que l’établissement d'une agence fixe est impossible, mais elle n’y trouverait pas d’intérêt, le marché italien ne constituant pas un débouché pour une marque de vins fins. Cette agence est confiée un mois plus tard, mais à un voyageur qui effectue déjà des voyages en Suisse pour le compte de la  Maison[19]. Le recours aux services d’un voyageur montre ici le faible intérêt pour ce marché, vers lequel il n’est pas la peine de consacrer plus d’efforts.

 

         Le travail de A. Hubinet s'avère donc capital pour la maison Pommery, dans l'optique du développement de ses affaires. Il l'est d'autant plus que le choix de tel ou tel mode de travail n'est pas sans conséquence sur l'image d'une marque :

 

 « […] Roederer, Clicquot et Moët sont représentés par des négociants en vins, absurde politique qui doit leur faire beaucoup de tort. »[20]

 

Cette remarque montre à quel point le choix d'un mode de travail est important. En l'occurrence, le choix d'un négociant en vins comme représentant nuit sans doute à l’image de ces maisons auprès des négociants et au développement de leurs affaires, car celui-ci leur fait la concurrence. Sur la place de Saint-Pétersbourg, la maison Pommery recours aux services de Bourgais, mais elle refuse, tout du moins au début, qu'il « s'intitul[e] "Agent à Saint-Pétersbourg", car le Commerce [lui] en voudrait d'avoir un agent qui lui couperait l'herbe sous le pied »[21]. Ce refus est motivé par la volonté de ménager les négociants : Bourgais, en tant que représentant en vins, a une clientèle de particuliers et il est donc susceptible de concurrencer ces négociants. En revanche, si elle s'appuie sur un représentant à Saint-Pétersbourg, il n'en est pas de même à Moscou où le contexte est différent : Levé – un des premiers négociants de la ville – a certainement accepté d’y introduire la marque[22]. Il est d'ailleurs rappelé à plusieurs reprises à Bourgais qu'il n'a pas à prendre d'ordres à Moscou[23]. Cette segmentation correspond sans doute à la meilleure manière de développer les affaires de la Maison sur ces places, d'après l’analyse que A. Hubinet a tirée de ses voyages préliminaires.

 

2.2.         La définition d’une politique

 

A. Hubinet s'appuie également sur ses voyages pour définir la politique à adopter sur tel ou tel marché : les cibles à viser[24], les intermédiaires que la Maison doit solliciter, mais également le vin à proposer – en résumé, tout ce qui peut contribuer au succès de la marque sur un marché. L’exemple du marché russe est particulièrement éloquent :

 

« […]C’est, comme les deux autres, un épicier fieffé et je ne compte pas sur lui. Que me restait-il à faire ? Des connaissances, et avec le peu d’éléments que j’avais, j’en ai fait de très bonnes. J’ai disséminé des échantillons de C.B. et de Sec ; si le vin plaît, nous ferons un trou au marché, cela marchera sûrement, peut-être même vite, car les Russes sont les plus grands moutons de Panurge qui existent. Si le vin ne plaît pas, il faudra plus de patience, mais nous devons arriver. […] Tout n’est qu’ébauché et je ne puis rien vous dire de plus, si ce n’est que ma politique n’est pas de vendre aux Clubs ou aux consommateurs, ce serait une très grande faute, mais de forcer la main gentiment à ces “ épiciers ”, car ils sont “ épiciers ” tous les trois, ces grandissimes marchands de vins. Il vendent du vin comme ils vendent telle ou telle marque de chocolat. »[25]

 

Ce passage est relatif à la situation à Saint-Pétersbourg, où A. Hubinet effectue son deuxième voyage. Il s’agit avant toute chose de savoir comment travailler le marché : l’apparente médiocrité des négociants à Saint-Pétersbourg l’oblige à renoncer à passer par leur intermédiaire - ce qui montre au passage l'intérêt de mesurer le poids du négoce local. En l’occurrence, il est évident que A. Hubinet cherche à s'attacher des relations « en-dehors du commerce ». Dans son esprit, il compte sur ce "capital relationnel" pour développer la notoriété de la marque, s'appuyant en cela sur la perméabilité des Russes aux modes (« car les Russes sont les plus grands moutons de Panurge »). En cela, ces relations viennent pallier les insuffisances des négociants. Il est intéressant de remarquer ici qu’il esquisse la « politique » de la Maison dans une perspective de long terme.

 

A. Hubinet ne pourrait jouer ce rôle s'il ne connaissait pas très bien les spécificités du négoce du champagne, ses ficelles, et celles des différentes places. Ce sont ces qualités qui l’amènent à jouer un rôle de conseil au sein de la Maison - quant aux consignes à donner aux agents - mais également auprès des agents eux-mêmes, qu’il visite au cours de ses voyages :

 

« […] Le point capital est de montrer aux hôteliers et aux restaurateurs qu'ils nuisent à leurs intérêts en ne cotant pas ; une fois notre vin coté, il ira tout seul, surtout si l’on y va une fois tous les deux ou trois ans graisser la patte à qui de droit. Je me sui présenté à presque tous comme si j’allais commander mon déjeuner et c’est la bonne manière […] Les époques d’achat sont pour la minorité le mois de mai, et pour la grande majorité la fin d’août. Pour nous rappeler à leur souvenir, je vous propose de leur adresser à tous le 1er mai, une circulaire ainsi conçue, ou à peu près : Nous avons l’honneur de vous rappeler que, selon notre habitude, nous suspendrons nos expéditions pendant les grandes chaleurs, c’est-à-dire du 1er juin au 1er septembre (pas de phrase qui sente l’humble sollicitation). Le 1er août la circulaire suivante. Nous avons l’honneur etc… que nos expéditions recommenceront le 1er septembre. Après l’arrêt forcé que les chaleurs font subir à nos expéditions, nous avons habituellement un surcroît de commandes. »[26]

 

Cet extrait souligne l’intérêt des voyages que A. Hubinet a effectués et des renseignements qu’il a collectés. Ce capital lui permet de définir la meilleure politique : les personnes à qui « graisser la patte », la manière de s’adresser à eux, mais également le bon moment pour faire les démarches. L’exemple des circulaires à envoyer à ces hôteliers est aussi particulièrement révélateur : elles ont évidemment pour but de « rappeler [la marque] à leur souvenir » aux moments où la plupart font leurs achats. Elles doivent les inciter à acheter, sans leur forcer la main car, comme le précise A. Hubinet, « ce n’est ni en sollicitant, ni en poussant qu’on obtiendra des ordres ».

 

Ces exemples mettent en évidence l’importance du travail de A. Hubinet. Le capital d’information dont il dispose lui permet d’opérer la "segmentation" la plus fine pour percer sur telle ou telle place. Par-là même, il est en fait le ressort nécessaire à la Maison pour s’adapter, d’autant que la diversité des structures de commercialisation exige la mise en œuvre de moyens divers pour pousser la marque[27]. Si nous voulons mieux comprendre l’intérêt de ce travail, il n’est besoin que de faire référence aux mésaventures qu’ont pu connaître certaines autres maisons:

 

« […] L’été dernier, les Ruinart sont venus faire de folles dépenses et des absurdités sans nom, coulé ! »[28]

 

« […] M. Tischler, de Bordeaux, qui va depuis 30 ans en Russie, vient d’en revenir. Il me dit que quelqu’un de la Maison Piper y est allé à la fin de l’année 1879, y a dépensé de 30 à 40 000 francs, y a établi un agent avec un fixe de 30 000 frs et  n’y fait pas ses frais. »[29]

 

Ces deux exemples portent sur le marché russe. Il nous importe surtout de savoir que la maison Piper « n’y fait pas ses frais » - pour autant que nous puissions accorder du crédit à l’exemple rapporté à A. Hubinet[30] - ou que la maison Ruinart a « coulé » à force de dépenses inutiles. Nous ne connaissons pas les dépenses que A. Hubinet a effectuées sur ce marché, mais la critique, implicite, des dépenses de ces maisons semble témoigner d’une désapprobation. Il sous-entend que venir faire des dépenses importantes n’est pas le bon moyen pour percer sur le marché russe. Il répète d’ailleurs à plusieurs reprises à la Maison l’intérêt de faire avant tout de la « camaraderie » [31] – ce qui suppose des dépenses, mais mesurées. Par ailleurs, quand la maison Pommery décide d’y installer un agent, elle ne le rétribue pas aussi largement[32]. L’exemple de ces deux maisons, qui ont, semble-t-il, réalisé des "investissements" inadaptés au contexte du marché russe, donne la mesure de l’intérêt des voyages de A. Hubinet pour la maison Pommery. Son expérience, ses qualités de voyageur et sa bonne connaissance du négoce et de ses spécificités en font un précieux collaborateur et un conseiller avisé, d’autant plus qu’il est imbu des intérêts de la marque.

 

2.3.         Le recrutement d’un agent

 

Nous avons mis en évidence le poids d’un représentant dans la réussite d’une marque et donc la nécessité de bien le choisir. C’est a fortiori le cas pour un agent, dont les responsabilités sont plus importantes[33]. Les démarches effectuées pour se renseigner sur le compte de A. Hubinet avant de le recruter viennent en témoigner. Dans sa correspondance, ce dernier fait référence à plusieurs reprises au travail d’agents de maisons concurrentes, à leurs qualités, leurs succès ou leurs échecs[34]. Le succès de la maison Mumm aux Etats-Unis par exemple doit beaucoup à son agent, F. de Bary[35]. Si la qualité du vin constitue le meilleur argument de vente, un mauvais agent peut en effet ruiner ce bénéfice. De ce choix dépend alors en grande partie l’avenir de la marque sur un marché. Dans le cas de la maison Pommery, cette tâche délicate entre depuis le milieu des années 1870 dans les attributions de A. Hubinet :

 

« […] L'employé de C. Bindtner me plaît, mais Bindtner veut l'associer avec son beau-frère, un homme méprisé à Vienne. Cet employé est intelligent et travailleur, mais ne ferait encore bien notre affaire qu'en Hongrie, en Pologne et dans la partie slave car il est Hongrois et juif : deux défauts plus ou moins graves dans la partie allemande de l'Empire. »[36]

 

  Les difficultés du recrutement d'un agent, et le soin qu’exige cette tâche, nous apparaissent ici. Un bon agent doit être intelligent et travailleur - qualités indispensables - mais cela ne suffit pas. De multiples paramètres interviennent, qu’il ne faut pas négliger. Il doit notamment bénéficier d'un capital de sympathie et de relations. Le rôle de A. Hubinet consiste essentiellement, dans cette optique, à collecter tous les renseignements de manière à choisir le meilleur agent[37] – celui dont la position et les relations le rendent le plus à même de pousser la marque et de l’imposer sur un marché ou une place :

        

         « […] Je passerai encore un jour ou deux à Bruxelles pour découvrir une perle si possible. »[38]                  

 

         « […] Pour savoir si vous étiez en position favorable pour imposer notre vin en Hollande, je suis allé voir une personne qui connaît parfaitement le marché hollandais… »[39]

 

Par son travail, ses visites, A. Hubinet cherche à limiter au minimum la marge d’incertitude qui accompagne le recrutement d’un agent. Le temps pris pour recruter certains agents vient en témoigner. Sur le marché russe, la Maison ne s’attache les services d’un représentant que trois ans après le premier voyage de A. Hubinet en 1875, alors que celui-ci a reçu des propositions dès son deuxième voyage en décembre 1875[40]. Le temps mis pour le choix du meilleur agent possible, les démarches effectuées dans ce sens, mettent en évidence l’enjeu qu’il représente et partant les ambitions de la maison Pommery. A. Hubinet tient à s’assurer qu’il dispose de tous les renseignements nécessaires à ce choix, qu’il s’agisse des spécificités d’un marché ou  de la position de l’agent – ses connexions, sa clientèle, la considération dont il jouit. Le recrutement intervient en aval de son travail de collecte d’information[41]. Il en va de même pour les conditions offertes aux agents recrutés.

 

Il est évident qu’en recourant aux services de A. Hubinet, la maison Pommery cherche à limiter la marge d’incertitude qui accompagne le recrutement d’un agent ; elle cherche à s’assurer de leur valeur. A cet égard, signalons d’ailleurs qu’elle ne recrute jamais un agent sans que A. Hubinet ne se soit rendu sur le marché en question et ne se soit entretenu avec lui. C’est le cas par exemple en 1881 quand il se rend en Scandinavie pour s’occuper de la succession de la maison O. Glenne & C°. Il a déjà préparé son voyage en Angleterre, où la Maison lui a envoyé les différentes offres d’Agence pour la Suède et la Norvège, et les détails des affaires dans ces régions. De Londres, il s’est déjà fait son opinion, mais il effectue tout de même le voyage. Il recrute un agent à Gothembourg, qui lui « plaît beaucoup plus que ceux qui ont demandé [l’] Agence » et décide de laisser  l’Agence de Stockholm aux mains du successeur de O. Glenne, après s’être assuré qu’il convient. Malgré les renseignements dont il dispose avant son voyage, le fait qu’il ait préféré se rendre sur place est révélateur de cette volonté de s’assurer que l’agent choisi est bien le mieux à même de développer les affaires de la Maison. Ce contact direct - ainsi que le fait de juger sur place - témoigne d’un changement dans les pratiques de la maison Pommery. Elle cherche à obtenir toutes les garanties sur le compte de ses agents, de façon à assurer la solidité de leurs relations[42]. De fait, elle ne s’en remet plus seulement aux recommandations. La durée des relations avec les agents que A. Hubinet a mis en place marque une certaine réussite. Tous les agents de la maison Pommery au milieu des années 1880, et par la suite, ont été recrutés par lui[43]. Or ils représentent encore la maison Pommery en 1893/1894, sauf Bourgais, mort et remplacé par Roehr. En ce sens, il n'est pas exagéré de dire qu’en établissant ce réseau d'agents, il a mis en place une véritable ressource pour la maison Pommery dans la perspective du développement de ses affaires. Leur contribution à la croissance des expéditions ne fait d’ailleurs guère de doute.

 

3.                La gestion d'une ressource

 

A. Hubinet effectue toujours plusieurs voyages sur les places où la Maison s’est attaché les services d’agents, comme le montre le tableau reproduit en Annexe 23. Ce travail est une dimension essentielle de son rôle. Il est surtout intéressant par sa signification et par la rupture qu'il représente là encore dans l’organisation de la maison Pommery. Il démontre sa volonté de s'assurer du développement de ses affaires, et révèle par-là même la volonté de peser sur son réseau d'agents, de contrôler l'efficacité de ce capital.

 

3.1.         Le suivi des affaires

3.1.1. La situation de la marque

 

Le rôle de A. Hubinet ne se limite pas en effet à son travail initial d'analyse et de recrutement. Il se rend au moins deux fois sur chaque marché où il a recruté un agent pour y suivre le développement des affaires. Son travail reprend les éléments évoqués précédemment, à savoir qu'il collecte tous les renseignements, en l'occurrence ceux indispensables pour juger de la situation de la marque. Il s'intéresse aux réussites ou aux difficultés qu'elle connaît, mais également à son "potentiel de développement", c'est-à-dire tous les éléments susceptibles de jouer en sa faveur. Pour ce faire, il lui faut replacer la marque dans son "environnement concurrentiel" :

 

         « [...] Fischer marchera. Il est très sérieux et dit qu’il fera 15.000 bouteilles cette année. Dans 5 ou 6 ans, il compte arriver au chiffre de 50.000. Il garantirait ce chiffre d’ici à 2 ans si on lui donnait 25.000 Frs de frais de voyage annuellement. Roederer et Moët font en Autriche 70 à 75.000 bouteilles par an. Heidsieck : 48.000. Ils donnent 0,50 [francs] par bouchon aux garçons. Clicquot 50.000, G.H. Mumm, Deutz et Geldermann font à peu près le même chiffre que nous et travaillent depuis plus longtemps. Piper dépense beaucoup d’argent en annonces et ne fera pas ses frais. Nous sommes bus par les Aristocrates. »[44]

 

Les chiffres des expéditions seuls ne signifient, il est vrai, pas grand chose s'ils ne sont pas replacés dans leur contexte, ce que A. Hubinet fait ici pour le compte de la Maison. Il se veut en l'occurrence rassurant quant au développement des affaires. La situation peut être qualifiée d'honorable au regard d'autres maisons, qui travaillent depuis plus longtemps ce marché. La faveur dont la marque jouit auprès de l'aristocratie semble augurer de son succès. La croissance des expéditions sur le marché austro-hongrois semble d'ailleurs lui donner raison.

 

Ces renseignements sont indispensables, car ils permettent de juger de la justesse de la politique suivie ou du choix d'un agent. C'est sans doute pour cela que la Maison tient à ce que A. Hubinet se rende lui-même sur place pour juger, le plus "objectivement possible", de la situation. L'avenir de la marque, faut-il le rappeler, dépend en grande partie du travail de ses agents et de leurs qualités. S'il les a soigneusement recrutés, leurs premiers résultats peuvent être relativement décevants, voire inquiétants, pour la Maison :

 

         « [...] C. Bourgais a beaucoup de bon et je suis convaincu qu’il n’a que d’honnêtes intentions. Il a beaucoup de nerf. Ce qui lui manque, c’est le tact, il parle à tort et à travers, mais ce défaut n’est pas ici d’une aussi grande importance qu’ailleurs. Il a les deux grandes qualités voulues: le nerf et l’audace. »[45]

 

La Maison a sans doute dû émettre quelques doutes quant aux capacités et aux intentions de son agent à Saint-Pétersbourg. En l'occurrence, les qualités de Bourgais, d'après A. Hubinet, le rendent à même d’y développer les affaires. Pour reprendre l'extrait précédent, le voyage en Autriche intervient trois ans après le recrutement de Fischer. La confiance que A. Hubinet  place dans les possibilités de son agent entre en compte dans le "potentiel de développement" de la marque. Il est significatif qu'il se place dans une perspective d'avenir en employant le futur («Fischer marchera»)[46]. Il ne fait pas de doute là encore qu'il s'agit de rassurer la Maison.

 

Les voyages que A. Hubinet effectue régulièrement visent donc à s’assurer que l’agent de la maison Pommery sur une place ou un marché est bien l’homme de la situation[47]. Ce travail est d’autant plus important concernant les agents qu’il n’a pas recrutés lui-même. C'est le cas des marchés belge, hollandais et américain[48], sur lesquels les affaires ne répondent vraisemblablement pas aux attentes de la Maison[49]. Il visite les relations attachées à la marque et les principaux clients, pour de recueillir leurs doléances, mais également leur avis quant aux agents :

 

« […] Hier soir, après le départ de Stuyvaert, j'ai vu du monde seul ; l'opinion est qu'il ne convient pas du tout à Bruxelles. Le propriétaire de l'Hôtel de Vienne, un homme de 30 à 35 ans, me dit : "Je ne comprends pas que vous ayez gardé si longtemps ce gros paysan soûlard. Il a tué votre Marque à Bruxelles. Quelque fois, il m'embête tellement que je le prie de s'en aller". »[50]

 

En l’occurrence, l'intérêt du suivi des affaires, et des agents, ne peut nous échapper. L'opinion de ce client met clairement en évidence le tort que Stuyvaert a déjà fait à la marque à Bruxelles. Or il doit avoir l’agence de la maison à Bruxelles depuis le milieu des années 1870 environ.

 

3.1.2. Opérer les réajustements

 

Il s'agit là bien évidemment du travail le plus significatif. Grâce à ce suivi, A. Hubinet a la possibilité de voir s'il convient, ou non, d'opérer des réajustements en vue d'assurer le meilleur développement des affaires sur un marché. Le dialogue avec les agents, avec les relations ou les clients est capital dans cette optique. Là encore, ce travail est d'autant plus nécessaire sur les marchés dont il ne s'est jamais occupé. Il n'est pas sûr qu'une personne de la Maison se soit rendue sur les marché belge et hollandais depuis N. Greno, au début des années 1870[51]. Quant aux Etats-Unis, il a été prévu que A. Hubinet y fasse un voyage, mais celui-ci a toujours été reporté[52]. Ainsi, lorsqu'il se rend sur ce marché, préfère-t-il effectuer une tournée des principales villes de l'intérieur pendant quelques mois pour y visiter les principaux négociants et hôtels/restaurants[53]. Il réalise un véritable "audit" de la situation et des besoins sur ce marché, tout comme il le fait en Belgique :

 

 « […] Il ne faut pas compter sur le négociant : même à 7.10, ils ne vendaient que ce que le consommateur demandait. Mon avis est qu'il faudrait carrément attaquer la clientèle générale par des Agents à Gand, Anvers, Bruxelles, Liège et Mons. »[54]

        

« […] C'est un mois qu'il me faudrait pour réorganiser tout cela […] Il paraît que tous les agents de champagne font la clientèle particulière et vendent toutes sortes de vins… »[55]

 

C'est, selon A. Hubinet, l'organisation générale qui est à redéfinir sur le marché belge. En 1882, E. Stuyvaert a encore l'agence générale de la maison Pommery pour la Belgique et les Pays-Bas, marchés qu'il travaille par l'intermédiaire de sous-agents. A. Hubinet préconise plutôt de s’attacher un agent dans les principales villes, politique sans doute mieux adaptée aux caractéristiques du marché belge. Il s'occupe lui-même de tout réorganiser.

 

Ses démarches, les renseignements recueillis, permettent donc à A. Hubinet de déterminer les besoins de la marque et des agents[56]. Ce travail s'inscrit en fait dans la même logique que ses voyages initiaux. Il s'agit là encore de s'adapter, si besoin est, aux évolutions ou aux difficultés que connaît la marque. Il est à noter que, s'il consulte agents et relations, il ne s'en remet pas systématiquement à leur avis. Il analyse leurs propositions à la lumière de sa connaissance du marché et de ce qu'il pense être l'intérêt de la marque, puis soumet son avis à H. Vasnier[57]. Les réajustements à opérer peuvent être de nature très variée : les pratiques à mettre en œuvre, la politique, les conditions de représentation ou les agents eux-mêmes, le dosage du vin, etc.... Mais, de manière générale, le poids de la concurrence se fait toujours sentir :

 

« […] J'ai dit à Sallès que quand il la faudra, il pourra accorder 0,50 et 0,75 par bouchon, outre les 0,25 qu'il accorde déjà, et que ce surplus lui sera remboursé par la Maison. Il fera cette remise quand l'ordre lui sera apporté ; ce sera notre contrôle et le sien. Cela vaut beaucoup mieux que de réclamer le bouchon. Bien entendu, il n'accordera le maximum que dans les grandes maisons où il apprendra que Mumm et Heidsieck offrent les mêmes avantages. S'il ne va  pas avec ces facilités, je vous demanderais de me laisser travailler Paris. »[58]

 

Les mesures préconisées par A. Hubinet visent à pallier les difficultés que rencontre Sallès à Paris pour imposer la marque. En l'occurrence, elles s'inscrivent toujours dans une volonté de s’adapter au plus juste, à l’instar de ce que nous avons mis en évidence précédemment. Ce réajustement s'appuie ici sur sa connaissance de l'"environnement concurrentiel" de la marque[59]. D’une manière générale, le poids de la concurrence est une donnée que la Maison a complètement intégré et en fonction de laquelle elle réagit, qu'il s'agisse des pratiques à mettre en œuvre ou du dosage des vins. Il s'agit, pour la maison Pommery, de ne pas lui laisser trop de marge afin de rivaliser avec les maisons qui réussissent le mieux. Ainsi, si H. Vasnier demande à A. Hubinet de se rendre en Belgique, c'est que « Mumm y fait la pluie et le beau temps »[60]. De même, sur le marché américain, A. Hubinet détermine le travail que C. Graef doit faire pour ne pas que la concurrence « marche sur le dos » de la marque.

 

3.2.         Une emprise nouvelle sur ses agents

 

3.2.1. S'assurer du travail des agents

 

         Ce suivi des affaires opéré par A. Hubinet marque un tournant pour la Maison. Il lui permet de s'assurer du travail de ses agents, ce qu'elle a difficilement pu faire au cours de la première partie de son histoire. Son seul "mode d’action" se limite jusque-là à la correspondance et aux conseils qu'elle peut leur donner par ce biais. La Maison s'en remet essentiellement à la bonne volonté de ses représentants ou agents. Or il nous a été donné de voir les difficultés qui se sont posées en terme de contrôle[61]. Le succès de A. Hubinet vient certes relativiser cette idée, mais les difficultés de G. Van Loo ou de L. Mertens la confirme. La Maison a d'ailleurs longtemps cru que ce dernier ne remplissait pas son rôle, jugement que Greno est venu tempérer après son excursion en Allemagne :

        

         « […] Il fallait mettre cet ami en train et le sortir de ses habitudes encadrées. D'ailleurs on n'avait jamais vu personne de la Maison depuis dix ans qu'il a créé sa clientèle et cela ne laissait pas de paraître assez drôle et était exploité contre vous et contre lui. »[62]

 

Ce passage est extrêmement intéressant car il nous apprend que le suivi des agents semble être une "règle" pour les différentes maisons de champagne. La maison Pommery n'a cependant pas eu d'autres contacts avec son agent allemand que la correspondance et peut-être quelques voyages que L. Mertens a fait à Reims. C'est perçu, notamment par la concurrence, comme un manquement préjudiciable, au moins à l'image de la marque. Il est probablement à l'origine du "malaise" entre la Maison et son agent, puisque le voyage de N. Greno, demandé par Mme Pommery, a pour but plus ou moins affiché de vérifier les capacités de L. Mertens. Nous avons eu l'occasion de le préciser, et les propos de N. Greno en sont peut-être un signe, ce voyage n'est sans doute pas étranger au développement des affaires sur le marché allemand. De l'avis même de N. Greno, il fallait juste « mettre [L. Mertens] en train ».

 

A. Hubinet vient suppléer N. Greno, ou H. Vasnier[63], dans le rôle qu'ils ont pu jouer occasionnellement sur certains marchés ou places. Mais leurs voyages n’ont jamais eu le caractère systématique des voyages de A. Hubinet, dont le champ d'action est par ailleurs beaucoup plus étendu. En cela, les progrès dans les transports, le développement du chemin de fer et de la navigation n'ont pas seulement contribué à la croissance des expéditions de champagne. Ses voyages en font un véritable relais entre la Maison et ses agents. Ils permettent d'établir un "dialogue" régulier. Ils ont en effet la grande vertu d’établir un lien concret entre la Maison et ses agents, lien complètement différent du seul lien épistolaire ou des quelques voyages que certains agents ont pu effectuer à Reims. A. Hubinet, lors de ses voyages, prend la mesure du travail des agents, mais également de leurs craintes à l'égard de la Maison par exemple, ou de leurs attentes. D'un autre côté, par son suivi des agents, il cherche certainement à établir un lien de confiance entre eux et la Maison.

 

Ce suivi des affaires participe d’une logique d'efficacité. Dans cette optique, le travail de A. Hubinet est précieux. A la différence des agents, il est imprégné au plus haut point des intérêts d'une marque dont il s'occupe déjà depuis vingt ans. Il a pour lui l'expérience, ses capacités d'analyse et sa bonne connaissance du vin. En supervisant ainsi le travail de ses agents, en réajustant ou en réorganisant si besoin est, A. Hubinet apporte une garantie supplémentaire : il offre à la Maison les meilleures chances d'assurer le développement de ses affaires et de la marque.

 

3.2.2. Faire prévaloir ses intérêts

 

La maison Pommery tient à assurer le bon fonctionnement de son réseau, ce qui suppose de gérer bien évidemment les tensions entre agents. Aussi veille-t-elle, comme auparavant, à faire respecter par ses agents leurs champs d'action respectifs. Là encore, A. Hubinet joue un grand rôle. En outre, il intervient pour essayer d'aplanir les tensions ou les différends - que ce soit entre la Maison et ses agents ou entre agents eux-mêmes d'ailleurs. L'un de ses premiers voyages dans ses nouvelles attributions a justement pour but de régler un de ces différends[64]. L'exemple le plus significatif concerne le marché russe, où l'"agent" de la Maison encaisse des sommes pour son compte[65]. A. Hubinet est donc chargé de remettre la situation en ordre, cherchant toutes les garanties pour que la Maison puisse «dominer la situation »[66]. Il est intéressant de constater, dans ce cas, qu'il préfère continuer avec Bourguais, malgré ces problèmes, en raison de ses qualités de vendeur[67].

 

D'une manière générale, au cours de ses voyages, A. Hubinet cherche à limiter les comportements opportunistes des agents qui profitent du succès de la marque. Le suivi des affaires qu’il opère ajoute une certaine pression sur les agents, amenés à rendre des comptes directement à leur "responsable". Un agent jouit de fait d’une certaine marge d’autonomie, liée notamment à l’éloignement[68] . Les voyages de A. Hubinet sont l’occasion de leur rappeler – si besoin est – que l’agence d’une maison de champagne exige un certain travail. L’exemple de C. Graef illustre ce propos. Le long séjour de A. Hubinet aux Etats-Unis, pendant lequel il visite les principales villes de l’intérieur du pays, ne fait que conforter ses premières impressions à son sujet :

 

« […] Graef ne pousse en aucune façon ; le seul sacrifice qu’il fasse est une petite remise au chef des garçons de Delmonico. Il ne dîne presque jamais au restaurant, il n’appartient à aucun club de New-York. Il ne passe chez ses clients que « when there is an object » ; je suppose qu’il n’y va que quand ils le font appeler ou quand il est obligé d’annoncer une augmentation. Il va au Bureau à 11h., s’en va à 4. Quand il ne le fait pas sortir, Draz aussi est toujours au Bureau, à faire des écritures. La seule ville qu’ils visitent est Philadelphie. Ils sont allés jadis à Baltimore, Washington, Chicago, etc…jusqu’à Denver mais ils n’y vont plus « because it did not pay ». Jamais ils ne sont allés à New-Orleans, ni à San Francisco, deux ports de la première importance. Graef est un malin compère qui ne voit que ses intérêts ; il a gagné, l’an dernier, ses quatre vingt dix mille dollars sans se déranger, et il se garde d’en rien dépenser en voyageurs. La réputation qu’il a à New-York de gagner beaucoup d’argent sans travailler lui fait une auréole dont il est flatté, et qui ne nuit pas à notre prestige, mais ce n’est pas une raison pour ne pas faire présenter notre carte en province, ni pour se défendre contre les incursions de Clicquot à New-York »[69]

Ce jugement, établi au début de son séjour, met en évidence par défaut ce que A. Hubinet et la Maison attendent d’un agent : qu’il fasse des dépenses pour pousser les vins de la marque (remises, dîners au restaurant…), qu’il visite les clients et surtout qu’il travaille l’ensemble de son champ d’action, aussi vaste soit-il. Un bon agent ne doit jamais se reposer sur ses lauriers, sous peine de se voir dépasser par d’autres concurrents. Toute cette analyse est, semble-t-il, sous-tendue par une véritable conception du rôle d’un agent. C. Graef offre l’illustration de la "dérive" d’un agent par rapport à cette conception : il ne doit pas privilégier son intérêt personnel, mais celui de la marque dont il défend les intérêts. Cette dérive justifie le rôle de A. Hubinet, qui représente l’intérêt de la Maison. Il entend donc imposer à son agent le point de vue de la Maison en ce qui concerne ses obligations dans l’avenir[70]. Ce faisant, il réalise un véritable audit qui l’amène à réorganiser la manière de travailler le marché américain :

 

« […] Il faudra que Graef prenne un bon voyageur pour visiter une fois par an le terrain que j’ai parcouru, à l’exception de la Nouvelle Orléans et de San Francisco, où il faut des agents locaux.[…] Au lieu d’un voyageur, c’est un partner-voyageur qu’il faut à Graef. […] Ce sont des grands frais à faire et il faudra que notre Agent ait les conditions les plus libérales. Je vais discuter de tout cela avec C. Graef, qui dans tout cela ne pourra nous servir que de banquier et de manager des affaires d’Amérique. […] Je vais m’attacher aux réformes, mettre des agents qui existent sur un meilleur pied, créer une agence à New-Orléans. »[71]

 

Ce passage témoigne de l’emprise que la Maison entend exercer sur son réseau d’agents. Il est d’ailleurs significatif que A. Hubinet s’occupe lui-même de la réorganisation du travail sur le marché américain ; C. Graef, qui jusque-là avait l'initiative de ce travail notamment en recrutant des sous-agents, perd toute autonomie[72]. Nous ne saurions trop insister une fois de plus sur l’importance de A. Hubinet, qui est véritablement l’instrument de cette emprise nouvelle de la Maison sur son réseau. La même démarche s’observe également sur les marchés belges et hollandais. Il fait en effet ce voyage à l'initiative de la Maison qui veut « mettre à Stuyvaert l’épée dans les reins »[73]. Ici encore, il impose une réorganisation, qu'il met lui-même en œuvre : il  contraint Stuyvaert à renoncer à la Hollande et à ne conserver que les deux Flandres[74]. Surtout, il n’hésite pas à se débarrasser des agents et sous-agents qu’il juge incompétents ou qui ne sont pas assez bons[75]. Cette volonté doit être soulignée car elle est révélatrice des prétentions de la Maison à imposer avant tout ses intérêts[76]. Ainsi, A. Hubinet n'hésite pas à demander à un agent nouvellement nommé de démissionner pour laisser sa place à un meilleur agent.

 

Les voyages de A. Hubinet marquent une véritable rupture par rapport à la période précédente. Ils s’inscrivent dans une logique d’efficacité, justifiant la coupure opérée. C’est une véritable ressource pour la maison Pommery qui a été mise en place. La spectaculaire progression des ventes sur l’ensemble de ses "nouveaux" marchés vient en témoigner, même s’il ne s’agit pas là de la seule explication : la maison Pommery s’est donné les moyens d’accompagner la poussée de la demande à la fin du XIXème siècle. Cette logique d’efficacité apparaît également dans la gestion de cette ressource. Là encore, la rupture est évidente par rapport à la première période, en ce sens que ce travail permet à la maison Pommery d’exercer une emprise nouvelle sur ses agents. C’est vrai du développement de ses affaires, mais également de l’application de sa politique, ce que nous allons mettre en évidence dans le chapitre suivant.

 

 

 



[1] C’est la "signification" que la Maison leur accorde priciapelemnt : elles doivent contribuer à développer solidement ses affaires (cf. chapitre VII : La constitution d’un véritable réseau d’agents)

[2] Cf Annexe 23 - Nous ne nous sommes pas intéressé dans cette partie à la chronologie de l’implantation de ces agences, retracée en Annexe 22. 

[3] Lettre adressée à Morelle datée du 24 juillet 1879 (122, 352) : il est qualifié d’« intéressé de [la] Maison spécialement chargé de [ses] agences à l’étranger ».  -  C.C.H., p.162 : une note nous indique qu’« en 1883, les principales agences de la Maison sont entre les mains de M. A. Hubinet, Directeur Général de toutes les Agences. ». Suit la liste de ces agences et des agents.  

[4] C.C.H., p.165-166 -  billet non daté venant à la suite de la lettre du 24 avril 1883

[5] C.C.H.,p.114 - lettre du 26 juillet 1882:  “ j’ai quitté Petersbourg hier. Le bateau s’arrête ici 8 heures. J’en ai profité pour travailler la place. Il y a quatre bonnes maisons : 1° J.H. Vickel (absent), 2° Luther & Rodolph, 3° P. Popoff, 4° Helsingfors Vinhandel. J’ai mis la main sur le meilleur agent : Carl Dimpker, un intime de J.H. Vickel, un garçon de 30 ans ”.

[6] C.C.H., p114 (lettre du 14 janvier 1879) et p.116 (lettre du 10 février 1879 : « […]La maison Clicquot est représentée par un marchand de comestibles russes qui fait aussi la clientèle bourgeoise. La Maison est représentée par une maison dans le genre Klein, le fabriquant et détaillant d’objets en cuir [...] L’agent de Roederer est un ancien commis-voyageur de Scheller, marchand d’articles d’argenterie... »)

[7] C.C.H., p.113-114 (lettre du 19 décembre 1878 : « […] Quel piètre marché que Vienne. Nul comme négociants en vins, très petite consommation dans les hôtels. Je crois qu’il faudrait travailler l’Aristocratie et le haut commerce, car ils importent directement ; on n’arrivera à rien autrement.»)

[8] C.C.H., p.107 -  lettre datée du 21 avril 1878  

[9] C.C.H., p.146-147 -  lettre datée du 1er octobre 1882  

[10] Cf. chapitre II : La promotion de la marque

[11] C.C.H., p.97 - lettre du 31 décembre 1875 : « [...] Elisseeieff Frères ont coté le vin sur leurs listes et on ne leur a pas encore demandé. Par conséquent, pas d’ordre. Il ne peut pas prendre la peine de pousser une nouvelle marque.  [...] F. Raoult a dégusté nos échantillons, les a trouvé excellents, mais ne peut rien nous acheter attendu qu’il ne pourrait pas les écouler ; notre vin n’est pas demandé. »

[12] La contenance la plus fréquente pour une caisse est de 12 bouteilles ; c’est d’ailleurs cet étalon qui a vraisemblablement été choisi pour les chiffres dont nous disposons sur le relevé des expéditions sur le marché américain. Pour le marché russe, il n’est pas impossible de penser qu’une caisse correspond à 60 bouteille - ce qui correspondrait à un chiffre d’environ 2 400 bouteilles vendues par an de ce genre de Heidsieck & C° - comme nous l’indiquerait ce passage d’une lettre de Hubinet à propos de la valeur à accorder à un négociant de Moscou : “ M. Levé achète de 1 000  à 1 200 caisses de 60 bouteilles de Roederer par an. ” ( C.C.H., p.95 - lettre du 23 mars 1875 )

[13] C.C.H., p.93/94 - lettre du 20 mars 1875

[14] Cette dénomination - dont l’origine est sans doute liée au travail en cave -  est celle couramment employée entre la Maison et son agent. Il faut comprendre le vin de la cuvée 226 dosé à 20%.

[15] C.C.H., p.98-99 (lettre du 15 août 1876). D’autres exemples peuvent être cités, comme celui de son voyage en Finlande : « C’est le Clicquot qui va le mieux. J’en ai acheté une bouteille que je comparerai avec notre vin de Stockholm, car je crois qu’ici il faut du sucré.» (C.C.H., p.141 - lettre du 26 juillet 1882 ). Cet exemple est une nouvelle fois révélateur du souci de A. Hubinet de coller au goût, sans chercher à imposer un type de vin.

[16] Lettre adressée à C. Manini datée du 11 juillet 1879 (122, 187) : « [...] nous nous faisons un devoir de vous demander [...] en nous disant si M. Morelle serait l’homme qu’il nous faudrait pour notre représentation. Depuis longtemps déjà, nous avions l’intention d’établir une agence en Italie, et elle nous est devenue nécessaire pour l’extension de nos affaires dans cette contrée…»

[17] Lettre adressée à Morelle datée du 24 juillet 1879 (122, 352) - Nous n’avons pas de trace de ce voyage dans la compilation de la correspondance de A. Hubinet, mais il est probable qu’il a dû effectuer les mêmes démarches que sur d’autres marchés. Il a probablement dû visiter les principaux hôtels et négociants, et collecter  tous les renseignements désirables, pour que la Maison prenne sa décision.

[18] Lettre adressée à Morelle datée du 5 septembre 1879 (123, 210)

[19] Lettre adressée à A. Delvaux datée du 3 octobre 1879 (123, 429) : la Maison lui offre l’agence pour l’Italie,  « aux mêmes conditions que celle pour la Suisse », en lui précisant que « deux tournées annuelles en Italie seraient indispensables ».

[20] C.C.H., p.188 (lettre datée du 26 juillet 1884) - Voir également p.108-109 (lettre datée du 3 juillet 1878 : «[…] Notre opinion est que le système adopté par l'Agent de Roederer est radicalement mauvais et offre un point d'attaque facile. Il doit être profondément désagréable aux négociants en gros de se voir faire la concurrence par l'Agent en titre d'une maison dont ils vendent les produits. »)      

[21] C.C.H., p.108 -  deuxième lettre datée du 20 mai 1878  

[22] Plusieurs lettres nous incitent à penser qu’il touche une commission sur l’ensemble des expéditions qui sont faites par la Maison à Moscou - cf. lettre adressée à G Levé datée du 15 septembre 1879 (123, 284 : la Maison lui envoie le relevé des expéditions faites à Moscou au 30 juin 1879, sur lesquelles il touche 25 centimes par bouteilles)

[23] C.C.H., p.143-144 -  lettre datée du 7 septembre 1882 

[24] C.C.H., p.120 -  lettre datée du 8 novembre 1879 : « […] Mon idée est qu’il n’y a à Paris qu’une trentaine de maisons qui puissent nous être utiles…»

[25] C.C.H., p.97-98 -  lettre datée du 31 décembre 1875  

[26] C.C.H., p.127 -  lettre datée du 28 janvier 1881  

[27] C.C.H., p.120 -  lettre datée du 8 novembre 1879 : « […] Mon idée est qu’il n’y a à Paris qu’une trentaine de maisons qui puissent nous être utiles et qu'en donnant à qui de droit un franc par bouteille, payables à époque fixe ou quand l’ordre est remis, la marque serait très recommandée. »   

[28] C.C.H., p.97-98 -  lettre datée du 31 décembre 1875  

[29] C.C.H., p.131 -  lettre datée du 11 mars 1882  

[30] Nous sommes ici doublement dépendant des sources. Non seulement, nous sommes dépendant de l’exemple rapporté par Tischler – de même que nous le sommes des propos de Hubinet – mais il n’est pas impossible qu’une ou plusieurs fautes de frappe se soient introduites en recopiant la correspondance de A. Hubinet. Ainsi, ce ne seraient plus un fixe à 30.000 frs, mais plutôt de 3.000 francs.

[31] C.C.H., p.103 -  lettre datée du 13 février 1878 :  « […] Il a amené la marque Heidsieck au deuxième rang en Russie, mais à force de dépenses chez les restaurateurs, mauvais moyen ! La marche à suivre est e faire de la camaraderie dans les hautes sphères… »     

[32] C.C.H., p. -  lettre datée du  

[33]  Cf. chapitre II : La gestion de la clientèle - Assurer le développement de la marque

[34] C.C.H., p.171 -  lettre datée du 10 décembre 1883 : « […] à la maison Piper, quand elle verra sous peu que son agent actuel la fera tomber de plus en plus. »    

[35] Bonal F., Mumm, un champagne dans l’histoire, p.82 - Voir C.C.H., pp.168-170 (lettre datée du 2 décembre 1883) et pp.171-172 (lettre datée du 10 décembre 1883)  

[36] C.C.H., p.116 -  lettre datée du 10 février 1879

[37] C.C.H., p.141 -  lettre datée du 26 juillet 1882 : « […] J’ai mis la main sur le meilleur agent de la place : Carl Dimpker, un intime de J.H. Vickel, un garçon de 30 ans. »

[38] C.C.H., p.144 -  lettre datée du 28 septembre 1882 

[39] C.C.H., p.149 -  lettre datée du 5 octobre 1882 

[40] C.C.H., pp.97-98 (lettre datée du 31 décembre 1875 : « […] On m’offre un agent. On me met un peu trop les pieds dans les reins à ce sujet. […] Je lui ai dit que je ne lui donnerais de réponse qu’au dernier moment de mon séjour quand je saurais mieux à quoi m’en tenir sur la manière de faire des affaires en Russie. ») 

[41] C.C.H., pp.140-141 -  lettre datée du 23 juillet 1882 : « […] Si les références d’Engel et que vous le preniez, ne donnez que Riga et son voisinage immédiat ainsi que Libau et le pays environnant. Si vous prenez Max Tischbein, donnez-lui le terrain désigné dans ma lettre et marqué sur la carte ci-incluse. C’est après des questions nombreuses que je suis arrivé aux renseignements ci-dessus.». Dans cette lettre, A. Hubinet expose de manière remarquable les atouts des deux candidats et leur intérêt pour les affaires. 

[42] Cf. chapitre V

[43] Seul le marché allemand fait exception, les agents ayant été recruté au milieu des années 1870.

[44] C.C.H., p.133 - lettre du 17 juin 1882

[45] C.C.H., p.115 -  lettre datée du 28 janvier 1879  

[46] Cf. infra - Voir également C.C.H., p.115 (lettre datée du 1er février 1879 : « […] Bourgais est actif et bouillant. Il ira…»)  

[47] Il effectue ainsi en juillet et août 1884 une tournée des agents allemands (Brême, Cologne, Hambourg) - qu’il n’a pas recrutés - et scandinaves (Copenhague, Gothembourg et Stockholm). Cette tournée vise à s’assurer de leur travail et voir s’il ne serait pas utile d’envoyer occasionnellement un voyageur de la Maison pour aider au développement des affaires. - cf. C.C.H., pp.187-190     

[48] Dans le cas du marché américain, si A. Hubinet n’a pas recruté directement C. Graef, il y a sans nul doute contribué par ses démarches sur le marché anglais.

[49] C.C.H., p.105 -  annotation de la main de H. Vasnier sur une lettre de Hubinet datée du 9 mars 1878 : « Lui dire que si sa présence en Angleterre n’est pas indispensable […] il pourrait passer une quinzaine avec Stuyvaert à Bruxelles, où la maison Mumm fait la pluie et le beau temps. Il pourrait également voir la Hollande et tâcher d’y relever la Marque qui y est aussi oubliés qu’à Bruxelles. »  

[50] C.C.H., p.144 -  lettre datée du 28 septembre 1882  

[51] H.M.P., p.47

[52] H.M.P., p.48

[53] Ce voyage dure trois mois (de la lettre du 16 décembre 1883 à la lettre du 16 mars 1884) - cf. C.C.H., p.172-181

[54] C.C.H., p.144 -  lettre datée du 27 septembre 1882  

[55] C.C.H., p.147 -  lettre datée du 1er octobre 1882  

[56] C.C.H., p.133 -  lettre datée du 19 juin 1882 : « […] Dans mes conversations avec lui [Sacher], il m’a plusieurs fois répété que Fischer ne poussait pas à la consommation. Cela veut simplement dire que Fischer ne va pas assez chez lui. Or le restaurant Sacher est au moins aussi cher que le Café Anglais […] Comme Sacher résume à lui seul la restauration aristocratique et "fast" de Vienne, j’ai arrangé avec Fischer qui est annuellement 7 mois à Vienne qu’il irait dîner chez Sacher, avec au moins un ami, une trentaine de fois par an […] Ces 30 fois représentent un débours de 900 Frs au minimum que nous lui allouerons, moyennant qu’il nous abandonne sa commission sur 800 bouteilles s’il fait 1.500 bouteilles du 1er septembre prochain au 31 août 1883, cela ne nous coûtera presque rien. » - Voir également C.C.H., p. 115-116 (lettre datée du 3 février 1879)    

[57] C.C.H., p.187 -  lettre datée du 24 juillet 1884 : « […] C'est le Heidsieck Monopole Demi-Sec, feuille d'étain rouge ne manquant pas de tape à l'œil, qui a dernièrement le mieux percé à Amsterdam. […] Quoique Van Lennep et Lenersan jurent qu'il ne faut pas changer le dosage, je vous recommande d'imiter le Heidsieck et de n'en rien dire. » 

[58] C.C.H., p.145 -  lettre datée du 26 septembre 1882 

[59] Il évoque ces pratiques à Paris, dans une lettre datée du 15 novembre 1879 (C.C.H., p.121) : « […] La camaraderie que l’on peut faire avec les restaurateurs ne signifie presque rien, c’est le chef de service qu’il faut avoir dans la main. G.H. Mumm leur donne 0,75 par bouchon ; tout le monde le sait parce qu’ils ont agi comme des saltimbanques. »

[60] C.C.H., p.105 -  annotation de la main de H. Vasnier sur une lettre de Hubinet datée du 9 mars 1878

[61] Cf. chapitre V : Des difficultés à imposer sa ligne de conduite

[62] H.M.P., p.35 (lettre de N. Greno du 16 janvier 1867 adressée à Mme Pommery)

[63] Il faut tout de même rappeler ici les voyages que H. Vasnier a pu faire pour le compte de la Maison, que ce soit en Angleterre ou sur les côtes normandes, les deux seuls dont nous avons une trace. L’absence de références par la suite et son rôle au sein de la Maison nous incitent à penser qu’ils ont dû être peu nombreux.

[64] C.C.H., p.92 -  lettre datée du 26 janvier 1875 

[65] C.C.H., p.134 (lettre de la Maison adressée à A. Hubinet datée du 4 juillet 1882 : […] Nous nous doutions bien, comme nous vous l’avons répété avec satiété, que Monsieur Bourguais avait dû encaisser la majeure partie des sommes que nous réclamions depuis si longtemps et c’est pourquoi nous tenions tant à vous voir faire ce voyage, car notre confiance dans ce Représentant n’a jamais cessé d’être médiocre. Aujourd’hui que le mal est fait, nous vous prions de vouloir bien ne pas quitter la Russie avant que vous n’ayez recueilli tout ce qu’il est possible de recueillir de nos débiteurs […] Arrangez-vous de façon à nous sortir de ce chaos et à faire en sorte qu’à l’avenir nous soyons garantis contre le retour de pareils procédés. » ). A. Hubinet reste au moins du 4 au 25 juillet 1882 pour effectuer ce travail. (C.C.H., p.134-141)

[66] C.C.H., p.139 (lettre datée du 17 juillet 1882) - Cette lettre évoque la nouvelle organisation que A. Hubinet met en place sur le marché russe, concernant notamment les recouvrements : « […] J’irai voir un homme de loi, pour savoir si cette manière de facturer nous offre des garanties et pour lui demander la marche à suivre pour dominer, autant que possible, la situation. »   

[67] C.C.H., p.140 -  lettre datée du 22 juillet 1882 : « […] C’est [Bourguais] un excellent vendeur, très aimé de la clientèle ; si les temps étaient meilleurs il nous ferait certainement le double du chiffre actuel. Mais il faut le contrôler »

[68] Cf. chapitre V : La faible emprise de la Maison sur ses intermédiaires

[69] C.C.H., p.168-169 (lettre datée du 2 décembre 1883) - Voir également C.C.H., p.166 (lettre datée du 23 novembre 1883 : « […] Le commerce à New-York est bien « canvassed ». Hotels et « Fancy Houses » ne le sont pas du tout […]Draz est un bon voyageur d’après mes premières impressions, mais la province doit être négligée. »), p.168 (lettre datée du 30 novembre 1883 : « […] Il n’a presque pas de frais, il ne dépense pas d’argent pour pousser les affaires […] La semaine prochaine, je visiterai Philadelphie, Baltimore, Washington et Richmond, pour avoir une petite idée de la province à vous communiquer. Graef, me dit-on, ne la travaille pas assez. Il n’est jamais allé en Californie. »)

[70] C.C.H., p.171 (lettre du 10 décembre 1883 : « […] Bref, j’ai dit à M. Pommer que j’allais visiter les principales villes de l’intérieur et que, comme je le pensais, s’il fallait moralement obliger Graef  à les faire travailler constamment et régulièrement, je serais heureux d’être l’intermédiaire d’un arrangement ente eux. »)

[71] C.C.H., pp.180-181- lettre datée du 6 mars 1884

[72] C.C.H., p.182 - télégramme non daté de la Maison adressé à A. Hubinet : « Graef demande aujourd’hui prolongation de son traité. Impossible rien accorder s’il n’est pas disposé à accepter vos idées que nous partageons absolument

[73] C.C.H., p.146 -  lettre datée du 1er octobre 1882

[74] C.C.H., p.148 - lettre datée du 3 octobre 1882 et billet de la même date : « […] Je suis venu à Gand hier soir. Lamentations, menaces. J’ai répété que nous ne pouvions lui laisser que les Flandres et 2.000 Frs d’appointements par égards pour services passés. […] La Marque, dans les deux Flandres, irait mieux avec tout autre et ses menaces de vengeance me font sourire de pitié. »  

[75] C.C.H., pp.148-149 (lettre datée du 5 octobre 1882 : A. Hubinet annonce au sous-agent de E. Stuyvaert à Amsterdam, qui tient une « brasserie de 2ème ordre », que la Maison a recruté un nouvel agent. Il ajoute que s’il ne veut pas rester en bon terme avec la Maison, la position de celle-ci est « assez forte pour qu’elle ne craigne pas les conséquences de [sa] mauvaise humeur. ») et pp.154-155 (lettre datée du 5 décembre 1882 : « […] Je suis venu voir Halen-Hilgers, que je n’avais pas vu à mon premier voyage. C’est un négociant très important qui fera mieux notre affaire que Defeld, qui est très paresseux. […] Ecrivez-lui tout de suite les termes et conditions auxquels vous lui offririez l’Agence, à la condition que nous puissions nous débarrasser de Defeld.»)  

[76] C.C.H., pp.142-143 (lettre datée du 7 août 1882) - Cette lettre concerne le marché finlandais que la Maison désire travailler. A. Hubinet cherche à y recruter un agent, mais ce marché est intégré au champ d’action de l’agent suédois, qui n’y est jamais allé. Par la suite, il « promet d’y faire deux voyages par an à partir de cet automne, ou d’y envoyer un voyageur ». A. Hubinet lui donne un délai d’un an pour faire ses preuves : « si au bout d’un an il n’y a avait rien fait, nous lui demanderions, dans son intérêt comme dans le nôtre, d’abandonner la Finlande… ».

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