Chapitre VI : La percée sur le marché anglais |
|
1. Un marché spécifique 2. Une évolution impulsée par A. Hubinet |
La réussite de la marque Pommery sur le marché anglais est d’autant
plus remarquable à la lumière des difficultés que nous avons mises en évidence
dans le chapitre précédent. La percée sur ce marché illustre concrètement nos
propos précédents et les difficultés que peut rencontrer la marque, en raison
notamment d’une concurrence déjà bien implantée. Cette étude particulière se
justifie alors surtout en raison de cette réussite même.
Avant tout, le marché anglais se distingue,
semble-t-il, des autres marché européens par le poids
des négociants en vins, les "wine merchant". Ils sont en fait
les intermédiaires obligés pour qui veut vendre du champagne sur le marché
anglais. S'il apparaît comme un personnage clé, il le doit à sa réputation de
connaisseur en vin. Ce sont ces "wine merchant" qui en grande partie
ont assuré le succès commercial des vins de Bordeaux, mais également des
"vins d’Espagne", comme le xérès ou le porto, très en vogue sur le
marché anglais au XIXème siècle[1].
Rappelons également qu’ils ont compté parmi les premiers amateurs des vins
(tranquilles) de Champagne[2]. A.
Hubinet évoque à plusieurs reprises la connaissance que ces "wine
merchant" ont du vin en général, du champagne en particulier[3]. Mais
s’ils jouent un rôle clé, c’est surtout en raison de la forte emprise qu’ils
exercent sur l’importante demande du marché anglais - ou tout du moins celle des élites[4]. M.
Etienne le met déjà en évidence dans son ouvrage sur la maison Clicquot au
début du XIXème siècle, reprenant également les propos de A. Simon[5]. Il
s'agit là semble-t-il d'une particularité du marché anglais. Les envois que la
maison Pommery effectue sur d’autres marchés – et notamment en France, Belgique
et Pays-Bas – ne sont pas tous dirigés vers des marchands de vins, ou même des
hôteliers/restaurateurs. Nombre d’entre eux sont expédiés directement à des
particuliers. Sur certains "avis d'expédition", la profession du client à qui l’envoi est fait est parfois
indiquée : nous trouvons ainsi les mentions de "propriétaire"[6],
d’ "avocat" , de "médecin", etc… Sur le marché anglais, nombre de
consommateurs semblent être en relation avec un « fournisseur ordinaire »[7]. Il convient
toutefois d'être prudent ici car les spécificités que nous mettons en évidence
tiennent peut-être en partie au fait que A. Hubinet s'adresse avant tout aux
principaux "wine merchant", aux plus importants[8].
Les envois qui leur sont faits s'élèvent à plusieurs
centaines, voire plusieurs milliers de caisses. Sur les marchés continentaux,
la plupart des envois de la maison Pommery sont composés tout au plus d’une ou
quelques centaines de bouteilles, rarement plus. Il existe un véritable
changement d’échelle, que A. Hubinet souligne d'ailleurs quand il fait la
distinction entre « la vente à la
bouteille » du Continent et le marché anglais[9]. Ce
changement d’échelle souligne l'enjeu que peut représenter ce marché pour une
maison de champagne. Mais il montre également l’influence que les "wine
merchant" peuvent avoir dans le lancement d’une marque. Hubinet l'évoque à
plusieurs reprises :
«[…] Ils ont choisi le vin d’une autre maison
et en ont acheté une forte partie. Ils feront sans doute le succès de cette
maison comme ils ont fait celui de Roederer .»[10]
Le succès ou l’échec d’une marque sur le marché
anglais semble largement conditionné par l’appréciation de certains de ces
négociants, ce qui n’est pas le cas sur tous les marchés, comme sur le marché
belge par exemple[11].
Cette influence tient en grande partie à la qualité de sa clientèle : un
"wine merchant" est d'autant plus influent que sa clientèle est
distinguée et choisie. D’ailleurs, si A. Hubinet sollicite les principaux
négociants du marché anglais et s'il cherche également à s'attacher les faveurs
de négociants influents, c’est qu’il espère qu’une maison consente à pousser la
marque et contribue à en assurer le succès[12].
Cette influence des "wine merchant" les placent en position de force. Ils sont en quelque sorte la
clé du marché anglais, ce qui impose aux maisons de champagne de les ménager.
En fait, cette influence se rapporte très certainement, nous l'avons dit, à
quelques maisons, les principales, celles qui ont la plus belle clientèle,
celles qui achètent le plus largement[13].
Elle est en tout cas perceptible, aussi bien dans la correspondance de A.
Hubinet que dans celle de la Maison. Ainsi, H. Vasnier lui conseille, dans la
lettre où il lui expose ses conditions de représentation, de ne vendre aux
particuliers qu’à des prix élevés afin de « laisser
une marge considérable au négoce »[14]. N’oublions pas
que H. Vasnier lui-même a travaillé en Angleterre et doit certainement être au
fait des mœurs commerciales anglaises. Quand un négociant propose à A. Hubinet
de faire passer une annonce en son nom pour introduire la marque, il lui
recommande la plus grande prudence « pour
ne pas effaroucher les négociants », considérant que « mieux vaut faire des affaires [par
eux-mêmes] plutôt que s’attirer l’opprobre des négociants »[15]. A. Hubinet
souligne lui-même la nécessité d'intéresser les négociants aux affaires de la
Maison pour réussir. Les relations avec les négociants constituent une
dimension fondamentale du développement des affaires sur le marché anglais.
Cette volonté trouve sa concrétisation dans un mode de
travail particulier. La maison Pommery ne vend, théoriquement, que par
l'intermédiaire des négociants et refuse de vendre directement aux
particuliers. Nous ne savons pas exactement à partir de quand cette règle a été
adoptée, ni à qui en revient l’initiative, mais d'autres maisons de champagne
la suivent également. Il n'est pas impossible qu'elle ait été imposée par les
négociants eux-mêmes - pour ne pas que les agents leur fasse de la concurrence - ou que la maison Pommery ait été obligée de s'aligner
sur ses concurrents. En tout cas, il s’agit là d’une condition essentielle pour
la réussite d’une marque sur ce marché :
« […] Le marché est couvert de maisons
françaises et allemandes qui s’adressent aux Particuliers après avoir vainement
sollicité les Négociants, de là une crainte exagérée des Négociants d’ouvrir un
compte avec des maisons qu’ils ne connaissent pas… »[16]
Cet extrait met bien en évidence la position
privilégiée des négociants anglais et leur volonté de ne pas entrer en rapport
avec des maisons qui leur feraient la concurrence. De même, les plus importants
d'entre eux pour le moins semblent avoir fait du système de réservation des
vins une conditions pour entrer en affaire avec eux.
Ils achètent leurs vins à l’avance et les laissent vieillir dans les caves
pendant deux à trois ans avant de se les faire livrer. Ce système répond, nous
le verrons, aux exigences du goût anglais. Là encore, nous ne savons pas à qui
revient véritablement l’initiative de ce système : les "wine
merchant" l’ont-ils imposé ou certaines maisons de champagne l’ont-elles
proposé afin de s’assurer leurs achats ?
La plupart des maisons de champagne l'ont en tout cas reprise
à leur compte. Au début des années 1870, ce système est tellement généralisé
qu’il semble impossible d’y échapper[17].
Il
convient de préciser avant tout ce que nous entendons par "goût
anglais". Cette appellation désigne ce goût dont nous avons vu qu'il se
distingue totalement de celui alors en vogue sur le continent européen : il se
porte essentiellement sur des vins vieux[18],
secs et remontés en alcool[19].
Cependant, cette appellation est réductrice[20].
Elle donne une fausse image d'unanimité, alors que la réalité est plus nuancée.
Des vins plus sucrés - ou des vins plus riches - continuent d'y rencontrer un grand succès, comme en
témoigne la prééminence de marques comme Clicquot ou Roederer dans certaines
parties de l'Angleterre[21].
D’ailleurs, H. Vasnier évoque une lutte entre deux styles de vins totalement
différents au début des années 1860[22]. De
fait, les goûts sont extrêmement divers - la Maison ne cesse de la souligner - y compris jusque dans les années 1870.
Le
goût pour des vins secs ou très secs est en vogue, principalement chez les
connaisseurs, depuis quelques décennies déjà[23]. Le
mouvement alors engagé ne cesse d'évoluer vers des vins plus secs[24]. Ce
goût se rencontre principalement dans la capitale ; à cet égard, il semble y
avoir une véritable divergence par rapport à la "Province" :
« […]Le
goût prédominant à Londres est décidément aux secs […] Les négociants savent
fort bien que les Bollinger et les Perrier "secondes qualités" ne
valent ni le Clicquot, ni le Roederer, mais ils vendront plutôt 25 caisses des
deux premières, que deux de l’un ou de l’autre des deux derniers. Nous ne
pouvons satisfaire un goût si vicié avec des vins "fruity" comme le
C.N. ou le C.B. Il faut un vin aminci, desséché, privé de sève, aussi sec que
possible, mais sans raideur. Je dis aminci, parce qu’un vin de ce genre doit
nécessairement manquer de corps ; mais ils en sont tous à demander un vin
plus plein et qui reste aussi sec – personne n’a pu jusqu’ici le leur fournir.
Un vieux négociant me disait ce matin que " le champagne qui
répondrait le mieux au goût actuel est celui avec lequel on pourrait se laver
les mains sans les sentir collantes ensuite". »[25]
Ce
passage est extrêmement intéressant car il met en évidence la force de ce goût.
La remarque de A. Hubinet concernant la vente des vins de Bollinger et
Perrier-Jouët montre que le cachet sec est le premier critère de référence des
négociants anglais : un vin de seconde qualité répondant à ce goût a plus de
chance de réussir qu’un vin de grande qualité s’en distinguant, à l'instar de
ceux fournis par Clicquot et Roederer. Précisons que Bollinger et Perrier-Jouët
sont des marques qui connaissent un certain succès sur le marché anglais,
surtout le Perrier-Jouët, très prisé, qui jouit d’une notoriété considérable.
Il semble bien cependant qu’une exigence de qualité se fait de plus en plus
sentir, tous les négociants demandant « un
vin plus plein ». La remarque de A. Hubinet souligne l’enjeu du marché
anglais à cette époque : il y a une place à prendre pour une marque capable de
fournir un vin répondant à ces exigences nouvelles. De même, la primauté du
goût sec permet à certaines marques, qui s’y sont adapté, de connaître le
succès, sans pour autant jouir d’une grande notoriété auparavant. La marque
Irroy en est l’illustration parfaite :
« […] En outre vous savez fort
bien qu’à Londres et ailleurs il faut des vins vieux opérés de quelques
semaines. Si nos vins étaient vieux opérés, nous en obtiendrions plus
facilement 60/- FOB que 46/- tels qu’ils sont. Témoin Irroy ! Marque de
troisième ordre, qu’on trouve maintenant dans tous les clubs du Royaume. »[26]
Ce
passage nous permet de reconstituer grossièrement l’histoire de la marque
Irroy, tout du moins de proposer une interprétation de son succès sur le marché
anglais. En 1863, A. Hubinet demande à la Maison « la valeur de la marque Irroy »[27], ce qui ne prouve
pas en faveur de la notoriété de cette marque, qualifiée d’ailleurs de « marque de troisième ordre ».
Or elle a dû connaître un véritable succès en s’adaptant aux exigences
anglaises : la mise sur le marché de vins sans liqueur, forme extrême du
goût sec des élites anglaises, de même que sa présence dans « tous les clubs du Royaume »
- fréquentés par
l’aristocratie et les élites, c’est-à-dire les milieux les plus demandeurs de
vins secs - viennent en témoigner[28].
Ce
goût pour les vins secs – autre fait remarquable qu’il convient de souligner –
est prôné par les élites anglaises en général :
« L’aristocratie anglaise est de
plus en plus enragée pour les vins très secs. Notre 6% est trouvé trop sucré pour
les Clubs. »[29]
«Les vins très secs sont de plus en plus
à l’ordre du jour dans les classes supérieures ; on me dit que les Dames
de l’Aristocratie se piquent d’honneur de ne boire que des champagnes à 3, 4 ou
5% de liqueur. J’ai offert hier à dîner
à deux négociants en vins et leurs dames ; celle-ci firent la grimace en
buvant notre C.B. et aimèrent notre vin sans liqueur. »[30]
Ces
exemples mettent en évidence le lien entre consommation du champagne sec et les
élites du pays, « les classes
supérieures », dont les membres sont réputés pour être connaisseurs en
vin. Plus généralement, le vin sec semble particulièrement apprécié des "connaisseurs"[31].
L’aristocratie a une telle influence sur la consommation de champagne en
Angleterre que les événements l’affectant ont des répercussions immédiates sur
la situation des affaires[32]. Sa
présence à Londres pour une partie de l’année au moins, liée à l’activité de la
cour d’Angleterre, et la concentration des activités politiques et économiques
font de la capitale du royaume non seulement un grand centre de consommation
mais également le centre d’impulsion de ce goût, qui évolue de plus en plus aux
vins très secs[33]. L’anecdote concernant la
consommation des dames est particulièrement significative, étant donné que le
champagne, comme vin sucré, a rencontré dès ses débuts un grand succès auprès
de la gent féminine, de sorte qu'il a vite eu une image de vin de femme.
La plupart de ces négociants ont une large
connaissance à propos de tout ce qui peut toucher aux vins, notamment aux vins
de Champagne :
« […] Ces jours derniers, je rencontre
dans Mark Lane le chef d’une maison très importante ne faisant que le commerce
de gros […] Je lui avais dit à l’avance que nous allions déguster du
1858 ; ce n’en était pas et il l’a bien vu. Il ne l’oubliera pas. Quoi que
vous en pensiez, le haut commerce de ce pays est très éclairé, la concurrence
dans nos affaires y est très active. Les achats s’y font rarement sans une
comparaison d’échantillons ; la vérité ne manque jamais de se faire jour
et en ne représentant pas les choses telles qu’elles sont, on se perd sans
retour. »[34]
Cette connaissance de ce qui a trait au vin qu'ont la
plupart des wine merchant fait du marché anglais un marché particulièrement
exigeant[35]. A. Hubinet souligne
d'ailleurs dans ce passage combien il est difficile et dangereux, pour une
maison qui tient à réussir sur ce marché, d'essayer de les duper. Nous ne savons pas en l'occurrence si
la Maison est de bonne foi. Si les Anglais ont la réputation d'être
connaisseurs en vins, sans doute tous ceux qui en consomment ne s’y entendent
pas en vin. Ils s'en remettent à leur "wine merchant" qui, eux, sont attentifs à ce que le vin réponde à leurs
exigences. Il est de la plus haute importance pour eux, bien évidemment, de ne
pas vendre un champagne de mauvaise qualité à leurs clients, en raison
notamment des liens de confiance qui les unissent. Ils doivent garantir de la
qualité du vin. Si toutes les marques – même celles qui ont déjà une certaine
réputation - sont obligées de faire
déguster leur vin, c’est bien que les wine merchant tiennent à s’assurer de
leur qualité. Si des progrès indéniables ont été réalisés dans la maîtrise du
vin, son élaboration, nous l'avons vu, reste encore soumise à de nombreux
caprices et il est toujours difficile de fournir une qualité permanente. De
fait, un vin de mauvaise qualité condamne une marque sans rémission :
« […]
Vous n’avez pas idée comme on dégringole dans ce pays, et quand l’opinion a
pris une marque en grippe, elle est perdue sans retour. »[36]
Ce passage s’inscrit dans toute une série de reproches
que A. Hubinet adresse à la Maison concernant la qualité des vins ; en
l’occurrence, c’est la limpidité du vin qui est en cause. La qualité du vin est
une condition essentielle à la réussite sur le marché anglais. Non seulement
elle est indispensable pour réussir, mais surtout il est impératif de la
maintenir sous peine de se condamner, ce dont témoigne cet extrait. Il est
vraisemblable en tout cas que ce vin n’aurait pas essuyé de telles critiques
sur d'autres marchés. La remarque de A. Hubinet, nous amène en effet à penser
que le marché anglais est particulièrement exigeant concernant la
qualité : il souligne que la Maison ne peut s’imaginer à quel point la
chute peut être rapide pour une marque quand elle ne répond plus à cet impératif.
Il semble sous-entendre par-là qu’elle n’a pas l’habitude de rencontrer un tel
niveau d’exigence sur d’autres marchés. Sur le marché anglais, toute cuvée de
moins bonne qualité peut faire perdre la « réputation
la mieux assise ». La contrepartie de cette exigence de qualité réside
dans sa capacité à payer un champagne rare, et de bonne qualité, à des prix
élevés :
« […] Si vous pouviez me trouver
d’assez bons 1857, ou des 1858 plus corsés que ce que vous venez d’acheter, je
les vendrais facilement à n’importe quel prix ; les bons vins mûrs
deviennent très rares. »[37]
Cette exigence du marché anglais se traduit par
l’importance particulière qu’y jouent les dégustations. Là encore, nous
manquons d’éléments de référence avec d’autres marchés. Dans la correspondance
envoyée aux autres représentants ou agents, il n’est quasiment jamais fait
référence à l’envoi d’échantillons, à l'inverse de la correspondance expédiée à
A. Hubinet. Nous ne voulons pas dire qu’elles ne sont pas de règle sur les
marchés continentaux, mais elles ne sont sans doute pas aussi systématiques que
sur le marché anglais, où A. Hubinet précise que les achats se font rarement sans une comparaison d’échantillons »[38]. Elle est une
étape nécessaire, par laquelle les "wine merchant" s’assurent de la
qualité[39]. Une
large part de la correspondance qu'il envoie à la Maison fait référence aux
différentes dégustations, leurs résultats, ce qu’il faut en attendre. Cette
place éminente met en évidence leur importance pour une maison. Avant la
période des achats, la plupart des maisons de champagne laissent des
échantillons de leurs nouvelles cuvées aux négociants pour recueillir leur avis
et éventuellement les modifier si elles ne plaisent pas[40]. Ces
dégustations contribuent à faire du marché anglais un marché extrêmement
concurrentiel, les "wine merchant" comparant ses échantillons au vin
qu’ils considèrent comme leur référence et qu'ils ont l'habitude d'acheter[41]. Une
marque connue, qui jouit d’une bonne réputation, n’a besoin que de peu
d’échantillons pour vendre ses vins. La marque Pommery étant inconnue, ou
presque, sur ce marché, A. Hubinet compte sur ces dégustations, dans un premier
temps, pour faire connaître la marque auprès des négociants et de leurs clients
; elles sont perçues comme un investissement dont il attend un retour dans
l’avenir pour la marque[42]. Ces
démarches l’obligent à avoir des échantillons de différentes opérations à
proposer.
Il est intéressant de
revenir sur ce point essentiel pour notre propos. Si la maison Pommery prône le
cachet sec de ses vins, ce n'est pas pour autant, nous l'avons vu, qu'elle
approuve le goût anglais, bien au contraire. Elle rejette un certain nombre de
pratiques auxquelles ont recours certaines maisons pour préparer leurs vins
destinés à ce marché, vins dont elle considère qu’ils trahissent le cachet
véritable du vin de Champagne[43].
Mais, au-delà de ces critiques, la Maison – et même Hubinet[44] - se positionne plus largement contre le "goût
anglais", qu’elle juge «
bizarre »[45].
Les critiques concernant ce goût ne manquent pas, comme le montrent les
dégustations d’échantillons de vins concurrents, préparés pour le marché
anglais[46]. Une
lettre datée de 1862 par exemple affiche ainsi le mépris de la Maison pour les
vins «à l'état brut », sans liqueur,
qu'elle juge «détestables»[47]. Or nous avons vu
que les vins "sans liqueur" connaissent un certain succès à cette
période. Les appréciations des "wine merchant" sur les échantillons
de A. Hubinet mettent d’ailleurs ce décalage en évidence :
« […] Le principal négociant de Cheltenham a aujourd’hui dégusté
nos trois qualités. La C.V. n’est pas assez riche pour sa vente. La C.N. a été
comparée à Perrier-Jouët, bon vin rond mais ayant un léger goût de
terroir ; notre vin a été trouvé plus délicat mais moins riche et trop
sucré.[…] Je lui ai présenté une bouteille de C.B.
débouchée samedi à Birmingham. Il a paru l’admirer beaucoup, mais lui a trouvé
trop de sucre. »[48]
Les vins de la Maison, secs voire trop secs sur
certains marchés continentaux, ne conviennent pas pour le marché anglais car
ils sont jugés trop sucrés. Ce n’est pas la qualité des vins qui est ici remise
en cause, puisque la "Carte Blanche" semble avoir été « admirée », la "Carte
Noire" trouvée « plus
délicat[e] » que le Perrier-Jouët. Généralement, la qualité du vin est
reconnue. A. Hubinet va même jusqu’à prétendre, dès 1862, que la Maison « a le meilleur vin que l’on trouve ici […],
destiné à beaucoup de succès »[49].
A. Hubinet, en accord avec la
maison Pommery, propose dans les premiers temps des vins riches[50]. En
cela, il semble préférer le cachet "français" - vin riche et fruité - au cachet "anglais", porté sur des vins
chargés. La maison Pommery, nous l’avons vu, adhère à ce cachet
"français"[51]. H.
Vasnier appelle de tous ses vœux au succès de ce cachet, incarné par le vin le
plus représentatif du style de la Maison, la "Carte Blanche"[52].
Mais elle ne renonce pas non plus à ses critiques à l’égard des maisons
Clicquot et Roederer. Elle défend une position fédératrice, espérant que son
cachet «concilier[a] toutes les opinions
extrêmes». Cette position est révélatrice de cette "culture de
produit" que nous avons déjà évoquée[53] : la
maison Pommery a confiance dans les qualités de son vin et veut l'imposer en
Angleterre. Elle incite fortement sons agent à prôner le cachet propre de la
Maison, plutôt que de « copier
servilement les autres »[54].
Elle lui répète à plusieurs reprises qu'elle ne tient pas à opérer « exprès pour le marché anglais »[55]. Les
critiques concernant le nombre d'échantillons et d'opérations préparées pour le
marché anglais s'inscrivent d’ailleurs dans ce cadre. Elle lui reproche en
effet, à plusieurs reprises, de «
multiplier les qualités sous prétexte de vente », alors qu’il vaut mieux
selon elle s’en tenir à son seul cachet, «
seul moyen de [se] poser honorablement un jour»[56]. A la lumière de
ces éléments, il est difficile de ne pas parler de conviction à l’égard de son
propre cachet de vin.
Ce
terme d’"anglophobie" est peut-être un peu excessif, encore que ce
n’est pas sûr. Il y a en tout cas, dans la correspondance que H. Vasnier envoie
à A. Hubinet, des réactions très vives à l’égard du marché anglais. Cette
"anglophobie" se manifeste à propos du vin lui-même, puisque ce
marché est suffisamment puissant pour imposer un type de vin, « celui des gens comme il faut »[57]. C'est d'autant
plus étonnant de la part de H. Vasnier qu’il a, rappelons-le, travaillé
lui-même en Angleterre dans une maison de banque. Ainsi, critiquant les
conditions de stockage des vins dans les dépôts anglais, il recommande à son
agent de faire valoir que les « Anglais
s'y entendent peu en vin »[58]. Dans la lignée
de ces propos, il s'élève également contre les prétentions anglaises en ce qui
concerne le vin[59] et surtout les activités
commerciales. Il en va ainsi du système de traite pour le règlement des
factures, seul « système business-like », mais que refusent les Anglais ont eu du mal
à adopter[60]. D'une manière générale,
il critique le laxisme des "wine merchant" quant aux paiements ; il
ne cesse de recommander à A. Hubinet de «
bien habituer les clients » à payer régulièrement leurs créances, et non à
imposer eux-mêmes le délai de paiement[61]. Au
début des années 1870, H. Vasnier n’a pas de mots assez durs pour mettre en
cause le système de réservation des vins
:
« […] Ce système fait supporter au
producteur une perte de 25% pour ne pas l’imposer au consommateur, c’est un
système ruineux qui incite à réduire la qualité, comme le font certaines
maisons. »[62]
La Maison se montre peu
disposée à céder face aux prétentions anglaises, d'autant plus qu'elles lui
semblent iniques au regard de la situation des vins de Bordeaux et de Bourgogne[63]. A
l'instar du vin, elle tient à imposer ses idées. D'ailleurs, A. Hubinet semble
avoir réussi à habituer les négociants anglais, non sans mal[64].
Quant au système de réservation, si la Maison est obligée de céder, elle tient
cependant à imposer ses conditions :
« […]
S’il n’y a pas moyen d’éviter d’accorder des réserves pour le 1870, accordez
les, mais à la dernière extrémité et à la condition formelle que les vins
seront enlevés complètement de nos caves au 30 avril 1874 […] avec un
dédommagement de 1% par mois quand le délai sera passé.»[65]
Cette vision nous a semblé intéressante à développer ici, car elle met
en perspective l’évolution de la maison Pommery sur le marché anglais.
Malgré les intermédiaires que la Maison a déjà eu sur
le marché anglais, la marque Pommery en est à ses débuts sur ce marché où elle
n’est pas connue. A. Hubinet et H. Vasnier la présentent eux-mêmes comme étant « nouvelle »[66]. Dès ses débuts,
A. Hubinet semble cependant avoir choisi de travailler particulièrement les
élites et les lieux qu'elles fréquentent, comme en témoigne cet extrait daté de
1861:
« […] Je
me propose de travailler spécialement les grands hôtels et les Clubs. C’est un
moyen expéditif pour propager la marque et qui lui donne du relief…»[67]
Ces "grands
hôtels" et ces "clubs"
sont en effet fréquentés par l’élite des sujets du royaume, et particulièrement
par l’aristocratie. Les clubs notamment ont connu un formidable essor[68].
Cette "stratégie" de A. Hubinet présente un double intérêt. Cibler
ses efforts sur ces élites permet de faire connaître la marque auprès de
consommateurs exigeants, aisés, traditionnellement considérés comme de
véritables connaisseurs en vins et exerçant par-là même une certaine influence
sur le goût et les modes du pays. Pour reprendre une terminologie actuelle, il
est possible de les assimiler à des "leaders d'opinion": par leur
influence, elles sont à même de développer la notoriété de la marque. D'autre
part, voir son vin apprécié par un milieu réputé connaisseur contribue bien
évidemment à soigner l'image d'une marque, à lui conférer un certain prestige.
C'est ce qu'il faut entendre quand A. Hubinet parle de « donner du relief à la marque ».
Si cette orientation ne relève pas de l’initiative de
la Maison elle-même, le niveau élevé de ses prix incite A. Hubinet à s’adresser
en priorité, dès les débuts de la marque, à des maisons de premier ordre - celles qui ont une clientèle choisie, distinguée -, les seules à pouvoir acheter les vins de la marque[69]:
« […]On commence décidément à parler de la Marque ; on se
récrie beaucoup contre les prix. Les premières difficultés sont les plus
difficiles à surmonter, mais quand quelques grandes maisons voudront bien nous
donner un coup d’essai, l’affaire ira toute seule. »[70]
Quoique la marque soit nouvelle sur le marché anglais,
la maison Pommery ne transige pas avec ses prix pour essayer, dans un premier
temps, de vendre et développer ses affaires, et ce même s’ils représentent un
handicap à ses débuts. Ses prix comptent d'ailleurs parmi les plus élevés du
marché[71], ce
qu'elle justifie par la qualité du vin[72].
Elle fait donc en quelque sorte le pari de tenir ces prix élevés et, partant,
de s’imposer par sa qualité. Par ailleurs, cette orientation vers un public
connaisseur, exigeant, tient également à la qualité des vins de la marque. La
maison Pommery, nous l’avons vu, porte ses efforts vers des vins de qualité - et adopte une politique en conséquence - pour satisfaire une clientèle exigeante[73].
Selon A. Hubinet, la Maison dispose du meilleur vin sur le marché anglais, ce
qui augure de son succès[74].
D’après son analyse, il semble, en outre, qu’il y a une place à prendre dans
les vins de qualité[75].
Cette orientation, définie semble-t-il en fonction des contraintes du marché
anglais, correspond à celle que la maison Pommery entend suivre, et qu’elle
suit en cherchant à se recentrer sur les vins de qualité supérieure[76]. Il
n’est pas utile de préciser à quel point cette politique est exigeante, car
elle suppose une qualité constante sur un marché aussi attentif à la qualité
que peut l’être le marché anglais[77].
Cette stratégie est poursuivie et développée dans les
années 1860, alors que A. Hubinet cherche à faire connaître la marque Pommery.
Elle trouve une résonance dans les démarches qu'il effectue auprès des
négociants[78], mais également auprès
des hôteliers :
« […]
L’idée dont je vous ai fait part à mon dernier voyage de descendre dans les
principaux hôtels de Londres devrait avoir d’excellents résultats. En
introduisant la marque dans une quinzaine des meilleurs, nous nous ferons
déguster par la crème de la crème des sujets de la Reine VICTORIA et je
m’arrangerais de telle façon que les hôtel-keepers demandent nos vins chez les
négociants. Dans l’hôtel que j’habite à présent, je dépense 8/- par jour ;
dans les hôtels dont je vous parle, il me faudrait dépenser environ 30/-. […]
Ce plan m’a complètement réussi à Brighton et vous savez que le public de la
Brighton season est à peu près le même que celui de la London season… »[79]
Dans cet extrait - comme dans le premier cité
dans cette partie - c'est A. Hubinet qui prend l'initiative, la maison Pommery se
contentant de donner son accord. En l'occurrence, cette stratégie n’est pas
sans comporter quelques risques, notamment financiers ; elle représente un
véritable investissement pour la Maison[80]. Cet
extrait nous apprend qu'il s'agit là d'une extension de la politique déjà
suivie avec succès à Brighton - ville balnéaire du sud de l’Angleterre où se retrouve toute
l’aristocratie anglaise pendant la saison estivale. Cette extension traduit une
véritable "stratégie", cohérente et suivie : se faire « déguster par la crème de la crème des
sujets » du royaume, car le succès auprès de ces consommateurs peut
contribuer au succès de la marque sur le marché anglais. Il doit assurer la
crédibilité de la marque aux yeux des "wine merchant".
Là encore, cette orientation est définie en fonction
des évolutions du marché anglais, et notamment du succès rencontré par ces vins
secs :
« […]
Albrecht s’est trouvé dernièrement lancé dans la plus haute sphère en
produisant un vin plus sec que tous ses confrères. […] Il nous faudra essayer
de contenter ces deux classes : les secs et les très secs. Les premiers
n’aiment pas les très secs et réciproquement. »[81]
Le vin sec connaît, nous l’avons précisé, connaît un
grand succès, à tel point que A. Hubinet, qui a essayé de percer avec les vins
riches de la Maison, a dû renoncer à cette politique[82]. Le
vin de la marque est jugé, à ses débuts, trop sucré par les principaux
"wine merchant"[83]. Ce
n’est pas la qualité du vin qui est remise en cause, au contraire : il est
généralement trouvé délicat[84]. Le
rôle de relais que doit jouer un agent prend tout son sens avec le travail de
A. Hubinet sur le marché anglais. Il en connaît parfaitement les spécificités
et les évolutions. Il ne cesse d'ailleurs d’informer la Maison quant à la
diffusion irréversible des vins secs, et ce dès ses débuts en tant qu'agent. Il
l'amène alors, non à abandonner son cachet français, mais à proposer des vins
plus secs :
« […] A
Londres, le goût s’attache de plus en plus aux vins très secs ; deux ou
trois maisons expédient des vins sans liqueur ; nos vins les plus secs
sont opérés à 6% ; il ne serait pas mal que nous en eussions une certaine
quantité opérée à 3 ou 4%… »[85]
La surenchère de certaines maisons, qui proposent des
vins sans liqueur, et les exigences des consommateurs amènent ici A. Hubinet à
demander à la Maison de réduire le dosage de ses vins. C’est du moins ce que
sous-tend l’enchaînement de ses propos : les vins "secs" de la Maison
ne le sont pas assez pour répondre au "goût anglais" - en vogue à Londres - comme le montre le décalage entre leur dosage et ceux
de leurs concurrents. Il s’esquisse ici comme une "course", où il ne
faut pas se laisser distancer par la concurrence. La plupart des maisons
rencontrent en effet un grand succès en proposant des vins secs. Il suffit de
rappeler l’exemple de la maison Irroy qui a percé sur ce marché grâce à ce type
de vin[86].
Cette orientation vers le vin sec tranche avec la
prétention de la maison Pommery à ne pas opérer exprès pour le marché anglais.
Elle n’est cependant pas exclusive. A. Hubinet continue toujours d’offrir des
vins "riches", qui concurrencent ceux de Roederer et de Clicquot. Ce
sont ces marques que la maison Pommery cherche avant tout à concurrencer à ses
débuts, mais elles sont très bien implantées sur le marché anglais :
« […] J’ai visité ce matin les White de Lime Street. Ils aiment nos
vins riches, mais ils ne peuvent les acheter attendu qu’ils sont obligés de
tenir le Clicquot et le Roederer, et qu’ils désireraient pouvoir n’en acheter
qu’un seul de ce genre. J’ai eu avec eux une conversation spéciale et très
longue.» [87]
Les vins riches de la marque
Pommery prennent la dénomination de C.B.F. (Carte Blanche cachet Français) à
partir du milieu des années 1860, alors que les vins secs de la marque prennent
la dénomination de C.B.A (Carte Blanche cachet Anglais). Dans la première
moitié des années 1860, A. Hubinet tient à avoir à sa disposition plusieurs
opérations différentes de plusieurs qualités différentes - pour être sûr de répondre aux exigences des
négociants et ne pas manquer des ordres lors de dégustations. A partir de 1865,
il ne propose donc plus qu’une seule qualité, déclinée en trois opérations,
même s’il pousse surtout le cachet français et le cachet sec dosé à 6%[88]. En
cela, il applique la politique de la maison Pommery, qui tient à se recentrer sur
les vins de qualité supérieure, allant même plus loin que sur le marché
allemand, où deux qualités sont vendues.
Il entre dans les attributions "normales"
d'un agent de permettre à la maison qu'il représente de s'adapter aux exigences
d'un marché[89]. Ce rôle prend une autre
signification sur le marché anglais, dans la mesure où ce marché impose,
semble-t-il, une rupture dans les pratiques commerciales ou de vinification, et
dans la mesure où la maison Pommery semble peu disposée à l'opérer.
A. Hubinet est très vite conscient, nous l’avons vu,
de la nécessité de s’adapter au goût "dominant". En cela, les
dégustations auxquelles il participe jouent un rôle capital. Elles lui
permettent de prendre en quelque sorte la mesure de la marque auprès des
négociants anglais, et voir ainsi les changements qu'il convient d’apporter au
vin. Dès 1861, il souligne la nécessité de présenter des vins plus secs et plus
anciennement opérés :
« […] Un
dernier mot sur le mode d’opération. Huit sur dix les trouvent trop sucrés,
"that is a fact", je ne suis pas d’avis pour cela que le mode
d’opération soit encore à changer, mais il est impossible de lancer la marque à
moins que nous ayons des vins opérés d’un an au moins à offrir au commerce
anglais. Nous sommes à même de réussir à Londres mieux que n’importe où
ailleurs parce qu’en général il n’y faut pas de vins chargés ; ce qui nous
y fait échouer est que nous n’avons pu présenter jusqu’ici que des échantillons
nouvellement opérés. Notez bien qu'il en est de même pour nos concurrents. Les
vins de Perrier-Jouët, de Moët, etc… ne sont jugés "fit to be drunk"
qu’un an après l’importation. Les maisons les plus riches achètent
considérablement à l’avance ; elles ont importé leurs 57 et 58 en 59 et
60, et au commencement de cette année considéraient le vin comme à peine prêt à
boire. Presque tous nos clients m’ont
dit "when your wines arrived, I thought very little of them, now, I like
them". »[90]
Disposer de vins anciennement opérés est une exigence
spécifique au "goût anglais". L’ajout de liqueur au vin vient
habituellement atténuer l’acidité naturelle du champagne. Dans le cas des vins
destinés au marché anglais, cette dose de liqueur étant diminuée, un séjour prolongé
en cave permet au vin d'acquérir plus de rondeur et vient pallier la raideur du
vin[91].
Cette pratique témoigne du changement qu'impose le marché anglais dans
l’élaboration du vin pour une maison qui veut y réussir. La plupart des maisons
de champagne s’y sont adapté, notamment en proposant un système de réservation
des vins[92]. En l’occurrence, la
jeunesse de ses vins condamne la marque Pommery, comme le fait remarquer A.
Hubinet, alors même que leur qualité augure de leur succès. Pourtant, malgré
ses recommandations, la Maison semble éprouver des difficultés à opérer cette
rupture :
« […] Ils m’ont fait l’observation que la
C.B.A./D 157[93] est bien moins bonne
que la C.B.A./D expédiée à eux l’an
dernier. Ce vin n’est pas assez vieux opéré ; je ne comprends que vous ne
compreniez pas la nécessité d’opérer longtemps à l’avance. L’Irroy marche très
vite parce que ces vins sont prêts à boire quand ils débarquent. Perrier-Jouët
nous enfonce au 4ème dessous avec des vins conservés pendant trois
ans opérés à Calais… »[94]
Quatre à cinq ans se sont écoulés depuis ses premières
recommandations et la maison Pommery souffre toujours de ne pas s'être adapté
aux exigences anglaises, malgré ses promesses[95]. A.
Hubinet n'a pourtant de cesse de souligner la nécessité de fournir des vins
vieux opérés[96]. Cette attitude est
d’autant plus incompréhensible que le succès de marques comme Irroy ou
Perrier-Jouët vient confirmer son analyse. Ces marques se sont en effet adapté aux exigences anglaises, en laissant leurs vins
reposer en France avant de les expédier prêts
à boire.
Les reproches que A. Hubinet adresse à la Maison
apparaissent de manière récurrente dans sa correspondance. Il se plaint à
chaque fois du fait que la Maison ne suit pas ses recommandations et gâche les
démarches qu’il a effectuées pour faire percer la marque :
« […] Je
suis surpris que vous ne vous soyez pas encore occupée de me préparer les vins
que vous demandait ma lettre du 20 du mois dernier ; ce n’est pas en
allant ainsi à pas de tortue que nous arriverons à rivaliser avec
Perrier-Jouët ; c’est au contraire le moyen de nous laisser marcher sur le
corps par les Bollinger, Krug, Albrecht & C°. Ces maisons ont commencé à
soumettre leur 1861 à la fin de l’an dernier, elles ont eu le temps de modifier
leurs opérations et depuis le printemps ont fait réserver ces vins par la
majeure partie des grandes maisons de Londres. Les plus belles affaires sont
manquées ; il ne nous reste plus qu’à glaner, à nous donner beaucoup de
mal, à visiter des maisons qui vous obligent à passer chez elles plus de fois
qu’elles ne vous achètent de douzaines. Il faudrait pourtant tâcher d’adopter
pour le marché anglais une politique qui lui convienne et ne pas y apporter un
système qui ne puisse faire réussir que la vente à la bouteille des marchés du
Continent… »[97]
Cet extrait est intéressant car A. Hubinet reproche
explicitement à la maison Pommery de ne pas avoir opéré la rupture qu’exige le
marché anglais par rapport aux marchés continentaux. De fait, elle ne se donne
pas les moyens de réussir sur un marché aussi concurrentiel. Elle n’est pas de
fait en mesure de rivaliser avec les marques les plus en vogue. Cette
incapacité constitue un autre thème récurrent de la correspondance que A.
Hubinet envoie à la Maison, qu’il s’agisse de sa promptitude à répondre à ses
exigences[98] ou du vin lui-même. De
manière générale, la maison Pommery semble faire preuve d’une certaine
incompréhension à l’égard des exigences du marché anglais. C’est le cas par
exemple des échantillons dont A. Hubinet a besoin pour ses démarches. C’est le
cas également des ventes que son agent à Paris réalise occasionnellement à des
particuliers anglais, alors que A. Hubinet s’efforce de ne passer que par
l’intermédiaire des "wine merchant". Cette règle est adoptée par la
plupart des maisons de champagne et A. Hubinet en souligne à plusieurs reprises
l’intérêt pour le développement de ses affaires[99].
D'autres reproches suivent encore[100] ;
ils s’étendent jusque 1872[101], ce
qui semble montrer que cette règle a longtemps été perçue comme une contrainte
par la maison Pommery.
Dans la lignée des reproches évoqués précédemment, A.
Hubinet se plaint à plusieurs reprises l’insuffisance des cuvées que la maison
Pommery met à sa disposition, y compris au début des années 1870 :
« […] Je
serais très content quand votre nouvel établissement sera fini ; vous pourrez
opérer plus grandement et plus vos cuvées seront importantes, plus mon travail
sera facile. Nous avons souvent
parlé des inconvénients qui résultaient de l’achat de cuvées. Une chose pire
encore est d’en faire, pour l’Angleterre, dans les années qui ne sont
pas tout à fait réussies. Les années médiocres font faire un recul considérable
à la Marque. Les maisons Perrier et Roederer, qui ont une demande considérable,
expédient encore des 1865. Les maisons secondaires, qui n’ont pu vendre leur
vin de bonne heure, expédient aussi leur 1865 ; ils ne valent peut-être
pas les nôtres de la même récolte, mais ils sont préférés à notre 1865/67. Les
maisons de Bordeaux n’offrent jamais ici que de bonnes années, à l’exception
cependant des vins tout à fait bas prix. Tout ce que
je vous ai dit sur ce pauvre179 n’est pas parti pris, mais simplement pour vous
guider à l’avenir. Cette cuvée se vendra vite, mais nuira à votre réputation.
Grâce à trop de petites cuvées dans nos grandes années, nous n’avons encore
qu’une réputation restreinte. Ce qu’il faut pour une réputation générale, pour
conquérir un pays comme celui-ci, pour vous faire boire par tout le monde,
c’est y lancer au moins chaque année 200 000 bouteilles de vins
irréprochables ; ces 200 000 bouteilles en feraient boire 100 000 autres
qui pourraient être de qualité un peu moins bonne. Nos 30 000 d’un côté et nos
40 000 d’un autre n’ont produit jusqu’ici que des effets comparables à ceux de
corps d’armée détachés, qui, quelque victorieux qu’ils puissent être,
n’influent que très légèrement sur le sort d’une campagne. Ces petites cuvées
ont aussi le défaut de ne pas durer longtemps et cela fait dire à nos
admirateurs qu’ils ne peuvent jamais compter boire le même vin deux fois.
J’espère que vous ne prenez pas ceci pour des récriminations et que mes
observations n’ajouteront pas à vos ennuis d’invasion. En somme je ne suis pas
ici pour vous écrire sur l’état de santé de la Reine Victoria. »[102]
Cet extrait fait référence à ce problème que rencontre
A. Hubinet, à savoir que les cuvées Pommery sont trop insuffisantes pour
s’imposer sur le marché anglais. Cela explique sans doute les difficultés de la
maison Pommery à proposer des vins vieux opérés comme le réclame A. Hubinet. Il
est évident que ce problème se pose surtout à partir du moment où la marque
connaît un certain succès. D’ailleurs, les plaintes de A. Hubinet sont datées
de 1867[103] ou postérieures. Or
c'est à cette date que la marque a connu son premier véritable succès sur le
marché anglais, avec la cuvée 1865. Les cuvées alors proposées ne peuvent
satisfaire la clientèle, alors même que la maison Pommery semble avoir mis à la
disposition de son agent une quantité importante - sans doute considérable[104] - de cette cuvée.
Ce problème handicape le développement de ses affaires
sur le marché anglais. Ses capacités de stock doivent être relativement
limitées au cours de cette première période ; elles ne dépassent pas 8.000
hectolitres[105]. Elle n'a
vraisemblablement pas les moyens de suivre ses cuvées - et notamment ses cuvées de qualité. Pour répondre à
la demande, la maison Pommery semble contrainte d’acheter une grande partie de
ses cuvées et de les mettre sur le marché, y compris lorsqu’il s’agit d’années
médiocres. Il n’est pas difficile de comprendre en quoi ce problème gêne le
travail de A. Hubinet. Il lui faut, pour chaque nouvelle cuvée, faire de
nouvelles démarches auprès des "wine merchant", de nouvelles
dégustations, définir les dosages les mieux adaptés[106]. De
plus, le fait de n’avoir que de petites cuvées entraîne une certaine méfiance
de la part des négociants car ils ne sont jamais sûrs d’avoir deux fois des
vins de même qualité. Cette remarque montre à quel point il est difficile
d’assurer une continuité de goût lorsque la demande est importante. Cela
suppose des moyens, que la maison
Pommery ne semble pas posséder à ce moment. La comparaison avec la maison
Perrier-Jouët - une des mieux implantées sur le marché anglais, pionnière de la
révolution dans les vins secs - est éclairante à ce sujet. Elle conserve ses vins en cave à Calais,
pendant trois ans avant de les expédier, de sorte qu'ils répondent parfaitement
aux exigences des consommateurs anglais[107].
Alors qu’au début des années 1870, elle «
expédi[e] encore des 1865 », vin de grande qualité[108],
grâce aux cuvées plus importantes dont elle dispose, la maison Pommery propose
elle des 1865/1867 de qualité médiocre. La différence de moyens se mesure
facilement entre les 40.000 bouteilles de la Maison et les 200.000 qu’il lui
faudrait pour s’imposer sur le marché anglais.
Il
est évident qu'une telle politique (celle de Perrier-Jouët) a un coût, coût que
la maison Pommery ne peut sans doute pas supporter, tout du moins dans un premier
temps. Son refus de louer de nouvelles caves à Londres au milieu des années
1860 vient en témoigner. Il est possible que ce problème s’explique par une
certaine réticence à s’engager sur le marché anglais, à le privilégier au
détriment d’autres marchés[109]. A.
Hubinet semble sous-entendre, à plusieurs reprises, que la Maison ne tient pas
à proposer des cuvées plus importantes pour ce marché, alors qu’elle aurait,
selon lui, la possibilité de le faire[110].
Cependant, elle semble surtout ne pas avoir les moyens de ses ambitions. Dans
les faits, elle est confrontée à un problème récurrent - au moins encore jusqu’au début des années 1870 - concernant la qualité de ses cuvées. A. Hubinet se
plaint amèrement de cet inconvénient à plusieurs reprises, car il gâche son
travail et la réputation que la marque a pu acquérir grâce à ses excellentes
cuvées[111]. A plusieurs reprises,
il menace d’arrêter toute démarche tant il est découragé. La maison Pommery,
faute de cuvées plus importantes, ne peut rivaliser avec ses principaux
concurrents. C'est ce qui explique les difficultés que rencontre A. Hubinet :
la marque n’a connu que des succès limités jusqu’à présent et ne bénéficie que
d’une réputation restreinte. L’extrait cité ci-dessus met en évidence l’enjeu
que représente ces cuvées plus importantes « de
vins irréprochables » pour la maison Pommery : la qualité est le
seul moyen pour s’imposer sur le marché anglais. Il met alors également en
évidence l’enjeu que représente la construction d’un nouvel établissement. A.
Hubinet en attend beaucoup en tout cas. Il semble qu’avec cette décision la
maison Pommery tient à se doter de moyens qui lui permettent de développer ses
affaires.
La réussite de la marque Pommery sur le marché anglais semble
indéniable au début des années 1870, même si certains problèmes continuent à se
poser. Elle s’y est forgée une réputation de qualité :
« […] la qualité
probable permet aux maisons bien posées d’acheter, ce qu’elles font toutes, je
suppose. Surtout marchez de l’avant et n’ayez pas peur. Rappelez-vous que
vous pouvez vendre ici plus cher que n’importe qui et que, par conséquent, vous
pouvez acheter plus cher que vos concurrents. […] Avec la réputation que
nous avons dernièrement acquise, ce n’est pas trois cent mille bouteilles que
nous pourrons vendre par an, c’est cinq cent mille. N’ayez pas peur. Tout ce
que vous achèterez sera vendu à bénéfice, vous pouvez en être sûrs. Les vins de
Champagne fins ont plus de vogue que les premiers crus de Bordeaux. »[112]
« […] Malgré
la hausse des prix, il ne faut pas croire que nos affaires diminueront dans ce
pays, car c’est le contraire qui aura lieu, grâce à notre bonne réputation et à
la prodigieuse prospérité publique. »[113]
Ces extraits datés de 1872 font référence à la flambée
des prix dans le vignoble champenois. Si A. Hubinet incite si fortement la
maison Pommery à acheter, c’est que la réputation acquise par la marque
représente un gage de développement des affaires. Il se veut rassurant quant à
l’avenir, soulignant peut-être à cette occasion la « peur » qui a pu freiner l’engagement de la maison Pommery sur ce
marché. En tout cas, il est possible d’apprécier la marge de manœuvre
qu’autorise une réputation de qualité : sur un marché aussi exigeant que le
marché anglais, elle attire les consommateurs qui recherchent avant tout la
qualité, et ce malgré la hausse de ses prix. A. Hubinet le souligne dans un
extrait daté de 1873 : les prix alors pratiqués par la maison Pommery sont trop
élevés pour son ancienne clientèle, mais le prestige de la marque vient plus
que compenser cette perte, en attirant de nouveaux clients[114]. Il
n’est pas difficile de voir en quoi il s’agit d’un changement pour la marque
sur le marché anglais. Il suffit de rappeler les plaintes de la maison Pommery
concernant les prix sacrifiés pratiqués par A. Hubinet, ou plus généralement
les exigences des "wine merchant" qu’elle a dû subir[115].
Cette réputation semble consacrer les efforts réalisés
par la maison Pommery pour produire un vin de grande qualité, capable de
rivaliser avec les plus grandes marques. Dès le début des années 1870, elle
s’impose comme une des plus grandes marques sur le marché anglais, ce dont
témoigne la possibilité qu’elle a de «
vendre plus cher que n’importe qui ». Si elle a connu des succès jusque-là,
qui ont sans doute contribué à cette réputation, son parcours semble cependant
chaotique, comme nous avons pu le souligner précédemment. A. Hubinet l’évoque
d'ailleurs implicitement : ce n’est que «
dernièrement » que la marque a acquis une réputation qui lui permette de
développer ses affaires ; il est probable d’ailleurs que les cuvées achetées
jusque-là par la maison Pommery ne se sont pas toutes vendues à bénéfice. Il y
a en tout cas dans cette reconnaissance une certaine réalisation de ses
ambitions initiales. Le vin qu’elle produit ne semble pas en contradiction avec
le cachet qu’elle prône à ses débuts[116].
Dès le milieu des années 1860, son style - la délicatesse, l’élégance de son vin[117] - y est reconnu, apprécié et attendu[118]. La cuvée de 1870 est, de l’avis même de
H. Vasnier, « bouqueté par excellence,
très élégant », ajoutant qu’il n’est pas possible de « composer en vins de 1870 une cuvée meilleure »[119]. La Maison a
surtout tenu à « lui laisser son cachet
de distinction ».
Le succès de la marque Pommery doit beaucoup au
travail exigeant de son agent. Il ne se contente pas d’effectuer les démarches
pour placer le vin ; il joue un rôle actif dans la définition du produit,
notamment dans le choix et le dosage de telle ou telle cuvée :
« […]
Comme vous me l’annonciez, le vin est moelleux et corsé ; mais il manque
complètement de finesse et de plus il est presque brun. Je l’ai soumis à une
dizaine de négociants dans le West End et dans la City. Il a plus à la
majorité, mais les meilleurs dégustateurs ne l’ont pas aimé. Ce vin
plairait en Ecosse et en Irlande ; je pourrais aussi le vendre à Londres,
mais il finirait par nuire à la réputation de délicatesse et d’élégance que
nous avons déjà acquise. Si vous l’achetez, je le vendrai, mais tout bien
considéré, je crois qu’il est préférable de ne pas l’acheter. »[120]
Ce passage est le premier
faisant référence à la réputation acquise par la marque Pommery sur le marché
anglais. Il nous importe surtout de remarquer ici que A. Hubinet joue un rôle
critique dans la perspective d’établir cette réputation. Il s'appuie sur sa
connaissance pointue des exigences propres à chaque partie du royaume, sur les
goûts particuliers, et sur une approche critique du vin de la marque pour la
guider sur ce marché. A. Hubinet s’est sans doute arrogé ce rôle en raison des
exigences du marché anglais, ce qui n’est pas sans susciter quelques tensions
avec la Maison[121]. Il
n’hésite pas à condamner certains choix de la Maison[122], ou
à l’inciter à en faire des plus audacieux[123]. En
outre, il tente de l’amener à rompre avec la logique de vente dénoncée
précédemment[124], au profit d’une logique
de qualité :
« […]
Vous me répétez pour la centième fois qu’il est de mauvaise politique de
pousser aux vins très secs. Je vous répond de nouveau Nous pourrions doubler le
nombre de bouteilles que nous expédions sur le marché anglais en créant de
nouveau une clientèle de C.B.A. et de C.B., celle que nous avions n’est tombée
que nous lui donnions que de mauvaises cuvées […] Ne frappez fort que dans les
grandes années, et dans les mauvaises faites comme les bonnes maisons de
Bordeaux, abstenez-vous. Après quelques années d’une telle politique, nous
sommes sûrs de commander au marché ; on se disputera nos bonnes cuvées et
au lieu d’en passer par toutes les conditions des négociants, nous dicterons
les nôtres ! »[125]
Selon A. Hubinet, la Maison devrait renoncer à
proposer une cuvée si elle n’est pas sûre de garantir un vin dont la qualité
ferait la valeur. Là encore, le souci d'asseoir la réputation de la marque
apparaît derrière cette logique qu’il tente de promouvoir. Elle répond à
l’impératif de fournir un vin de quantité irréprochable sur le marché anglais,
alors que les mauvaises cuvées nuisent considérablement à la réputation de la
marque. Il est à noter que la maison Pommery partage cette optique, mais il est
possible que ses moyens limités l’empêchent de la réaliser pleinement, de
manière continuelle[126].
Nous retrouvons cette argumentation à plusieurs reprises, plus ou moins
explicitement développée[127].
A. Hubinet poursuit en fait dans la continuité des orientations qu’il a
définies à ses débuts, amenant la maison Pommery à s’adapter aux exigences du
"goût anglais". Ainsi, malgré son mépris affiché pour le « vin à l’état brut »[128], elle consent à
lui opérer certaine cuvée en partie sans liqueur[129]. Ce
revirement est révélateur du tournant qu'il l’aide à négocier. Surtout, A.
Hubinet amène la maison Pommery à se concentrer principalement ses efforts sur
les vins secs, voire très secs :
« […] Comme
avec la C.B.167 nous ne pourrions pas faire la concurrence à Roederer et à
Clicquot, il faut rester dans les vins secs et nous mettre partout en avant
comme tels sans diviser nos forces et avoir deux genres qui se fassent la concurrence[130]. Pour peser les
chances de succès que nous avions, je suis allé voir aujourd’hui quelques uns
des plus grands clients de Roederer et de Clicquot et je leur ai demandé si
beaucoup de consommateurs, buvant les vins susnommés, les trouvaient trop sucrés.
On m’a partout répondu : "Oui". »[131]
Ce recentrage s’explique non seulement par la
concurrence dans les vins riches de maisons solidement implantées, mais
également par le succès des vins secs sur le marché anglais en général, des
vins secs de la marque Pommery en particulier[132]. A.
Hubinet se dit ainsi persuadé que la Maison aura «dans un temps rapproché, la vogue pour les
vins secs en Angleterre »[133]. Là encore,
l’établissement de la réputation de la marque vient justifier ce recentrage. A.
Hubinet l’explique à plusieurs reprises : les vins très secs sont bus par les
consommateurs bien posés et connaisseurs, et sont donc susceptibles d’établir
la réputation d’une marque[134]. En
outre, le vin très sec exige des vins de qualité irréprochable, ce que H.
Vasnier souligne dans l’extrait cité ci-dessous[135].
C’est ce qui explique que A. Hubinet incite la maison Pommery à privilégier une
logique de qualité au détriment d’une logique de vente[136].
Ce recentrage n’est pas sans susciter quelques
tensions avec la Maison, qui semble accepter difficilement cette orientation
désormais quasi exclusive. Il n’y a peut-être pas meilleure preuve que cette
lettre de H. Vasnier, datée de 1871 :
« […]
Plus vous allez et plus vous poussez aux vins secs, c’est très bien, mais
vous nous créez à plaisir des embarras énormes pour l’avenir, attendu que
lorsque nous aurons une succession d’années mauvaises et acides, il sera
matériellement impossible de satisfaire la clientèle et de lui donner du vin
potable, tandis que pour les maisons qui font des vins moins secs et plus
dosés, la chute sera moins sensible et moins désagréable. Ce raisonnement vous
explique pourquoi les premières maisons n’ont jamais voulu prôner que les vins
sucrés et qu’elles ont parfaitement compris qu’elles se fourvoieraient en
agissant autrement, et comme en résumé tout ce qu’elles veulent c’est vendre et
palper un bénéfice, elles se sont toujours bien gardées d’apprendre à la
clientèle à aimer d’autres vins que les vins sucrés fabriqués par elles, et
qu’elles savent être en mesure de toujours pouvoir fournir de qualité à peu
près égale, et sans transition bien sensible lorsqu’on tombe d’une bonne à une
mauvaise année de récolte. Nous n’avons donc aucun intérêt à pousser à
outrance les vins secs, nous vous l’avons répété à satiété et nous vous le
répétons encore…»[137]
Ce passage est révélateur de cette orientation que A. Hubinet veut
suivre sur le marché anglais. Cette orientation de la marque vers les vins secs
semble plutôt subie qu’elle n’est véritablement choisie par la maison Pommery.
Il y a, derrière les propos de H. Vasnier, une grande prudence qui tient en
partie au moins au contexte de pénurie dans les récoltes. Il souhaiterait
probablement voir les ventes de la Maison
moins dépendantes des vins secs et voir la marque Pommery prendre une
orientation plus "généraliste" sur le marché anglais, de sorte
qu'elle soit moins exposée en cas de difficultés. Nous ne connaissons pas
l’attitude de Mme Pommery concernant ce sujet, mais l’emploi du pronom « nous » à la fin de cet extrait peut
nous laisser penser que cet avis est partagé. Deux logiques semblent en tout
cas s’affronter ici : une plus audacieuse, défendue par A. Hubinet, et une
logique plus "gestionnaire" défendue par H. Vasnier. Cet extrait
montre également à quel point la position que défend A. Hubinet se démarque de
nombre de ses maisons concurrentes à cette époque. Rares semblent être les
maisons qui se sont orientées vers les vins secs, comme la maison Pommery a pu
le faire.
[1] Etienne M., op. cit., p.109
[2] Cf. chapitre I : Le succès d’une image
[3] C.C.H., p.37 (lettre du 16 février 1863 : « […] Ces Messieurs en savaient autant que moi sur la fabrication des vins de Champagne, même beaucoup plus que moi sur ce qui a rapport aux champagnes consommés à Londres.»), p.55-56 (lettre datée du 10 décembre 1865 : « […] Quoi que vous en pensiez, le haut commerce de ce pays est très éclairé, la concurrence dans nos affaires y est très active.»)
[4] Il ne s’agit pas d’un contrôle total. La maison Pommery sollicite également, à ses débuts, les particuliers. A. Hubinet fait référence également aux maisons de vin de Champagne ou du Rhin qui sollicitent les particuliers quand elles n’ont pas réussi à percer avec les négociants, ce qui montre d’ailleurs que ces négociants jouent un rôle clé.
[5] Etienne M., op. cit., p.108 : « Leur organisation en une sorte de "corporation" plus ou moins fermée leur permettait de tenir la dragée haute aux vendeurs champenois. ». Leur influence n’a vraisemblablement pas été remise en cause au cours du XIXème siècle.
[6] Il s'agit d'un particulier.
[7] C.C.H., p.57 - lettre datée du 1er janvier 1866
[8] C.C.H., p.22 - lettre du 4 septembre 1861
[9] C.C.H., pp.49-50 - lettre datée du 11 septembre 1864
[10] C.C.H., p.63 - lettre datée du 6 mai 1867
[11] Lettre adressée à G. Van Loo datée du 30 novembre 1859 (26, 128) : « […] Delvaux a de toutes les marques et donne celle qu’on lui demande plus particulièrement comme tous les autres négociants en vins de la Belgique. ». Il est évident, dans ces conditions, qu’il ne fait pas compter sur ces négociants pour établir une marque, en faire le succès.
[12] C.C.H., p.29 - lettre datée du 22 mars 1862 : « […] les premières difficultés sont les plus difficiles à surmonter, mais
quand quelques grandes maisons voudront bien nous donner un coup d’essai,
l’affaire ira toute seule.»
[13] C.C.H., p.27-28 - lettre datée du 11 janvier 1862 : « […] [notre] succès ne serait que de courte
durée, soyez en persuadée, si nous n’adhérions pas à la stricte politique
suivante : avoir des conditions uniques pour tous et accorder aux grands
acheteurs une réduction fixe pour une quantité déterminée. On se concilie ainsi
les grands acheteurs qui font la loi. »
[14] C.C.H., p.5 (lettre de la Maison datée du 30 janvier 1861) - Lettre adressée à A. Hubinet datée du 1er mai 1862 (377, 312)
[15] Lettre adressée à A. Hubinet datée d’avril 1862 (377, 224)
[16] C.C.H., p.35 - lettre datée du 29 janvier 1863
[17] Cf. supra : Une certaine anglophobie
[18] C.C.H., p.53-54 - lettre datée du 28 octobre 1865
[19] Cf. chapitre III : Une conception du champagne en jeu
[20] Elle n'est pas de notre fait. Nous retrouvons à plusieurs reprises la référence au "vin anglais" ou au "goût anglais".
[21] C.C.H., p.38 (lettre datée du 12 mars 1863 : « […] Excepté à Liverpool et à Newcastle, partout, dans le nord de l’Angleterre, le goût prédominant est au Clicquot et au Roederer.»), p.57 (lettre datée du 23 mars 1866 : « […] Manchester où le Roederer a un vrai monopole. »)
[22] Cf. chapitre III : Une conception du champagne en jeu
[23] Cf. chapitre I : Les principaux marchés
[24] C.C.H., p.58 - lettre datée du 26 avril 1866 : « […] Comme vous pouvez en juger par mes demandes de vins sans liqueur, le goût sec est poussé à l’extrême. Perrier-Jouët expédie de très bons vins sans liqueur et à 2, 4 et 6% de liqueur. Cette maison a beaucoup de succès. ». A la fin des années 1840, il semble qu’un "wine merchant" a demandé, pour la première fois, un vin sans liqueur à la maison Perrier-Jouët, mais ce vin n’a alors pas été apprécié (cf. Devroey J.P., op. cit., pp.82-83)
[25] C.C.H., p.24 (lettre datée du 27 novembre 1861) - Voir également p.36 (lettre datée du 15 février 1863 : «[…] Ces sorte de vins sont très à la ode maintenant. Ils sont opérés à 4% de liqueur et sont moelleux. Ces vins ne sont pas considérés comme 1st class, mais parce qu’ils sont très secs, ils ont la préférence sur les vins riches. »)
[26] C.C.H., p.50 (lettre datée du 12 février 1865)
[27] C.C.H., p.36 (lettre datée du 15 février 1863)
[28] C.C.H., p. 41 (lettre datée du 10 mai 1863 : « […] Irroy se fait jour à Londres avec des vins sans liqueur.»)
[29] C.C.H., p.53-54 - lettre datée du 28 octobre 1865
[30] C.C.H., p.64 - lettre datée du 11 mai 1867
[31] C.C.H., p.76 (lettre datée du 8 mai 1871 : « […] le 183/4 [cuvée 183 dosée à 4%] ne vous en fera presque pas parce qu’il sera bu par des consommateurs moins bien posés et moins connaisseurs que ceux qui boiront le 183/2.»), p.83 (lettre du 23 novembre 1871: « […] les grandes maisons de Londres, Dublin, Edinburgh, dont les clientèles sont distinguées n’achètent que des vins secs. »)
[32] C.C.H., p.26-27 (lettre datée du 3 janvier 1862 : « […] L’année 1862 ne s’annonce pas sous les plus favorables auspices. La mort récente du Prince Albert coupera court aux fêtes de a saison, l’aristocratie devra, par convenance, mener une vie retirée. La continuation de cette guerre en Amérique affecte de plus en plus les classes commerciales et industrielles.») et p.37 (lettre du 21 février 1863 : « […] Les affaires ont été très calmes à Londres. Tout le monde se plaint et on attend impatiemment le mariage du Prince de Galles qui sera, je l’espère, le signal d’orgies dans tout le Royaume.»)
[33] C.C.H., p.36 ( lettre du 15 février 1863 : « […] Il n’y a encore à Londres que les membres du Parlement et il paraît qu’à tous leurs clubs ils boivent un champagne blanc, très sec à raison de 4/- [shilling] la bouteille (en détail au club). Ces sortes de vins sont très à la mode maintenant. ») et p.47 ( lettre du 18 septembre 1863 : « […] A Londres, le goût s’attache de plus en plus aux vins très secs… » )
[34] C.C.H., p.55-56 - lettre datée du 10 décembre 1865
[35] Cf. infra : L’influence des "wine merchant"
[36] C.C.H., p.89 - lettre datée du 13 mai 1874
[37] C.C.H., p.55-56 - lettre datée du 10 décembre 1865
[38] C.C.H., p.55-56 - lettre datée du 10 décembre 1865
[39] J.P. Devroey a également mis en évidence cette exigence, d’après la correspondance de la maison Perrier-Jouët. Il souligne la différence entre le marché anglais et les clients français par exemple, qui commandent « du champagne », sans jamais parler de dosage, alors que certains Anglais n’achètent jamais « un nouvel approvisionnement sans le déguster contre la dernière bouteille qui leur reste de l’approvisionnement précédent ». De manière générale, « la clientèle britannique, précise J.P. Devroey, bien informée, insiste sur la continuité dans le goût et la nature des vins et donne ses exigences en matière de cuvée, de couleur et d’opération. » (Devroey J.P., op. cit., pp.76-77)
[40] C.C.H., p.49-50 - lettre datée du 11 septembre 1864 : « […] Ces maisons ont commencé à soumettre leur 1861 à la fin de l’an dernier, elles ont eu le temps de modifier leurs opérations et depuis le printemps ont fait réserver ces vins par la majeure partie des grandes maisons de Londres. »
[41] C.C.H., p.35 (lettre datée du 29 janvier 1863 : « […] La maison la plus importante a dégusté la C.B. en comparaison d’un vin de 1857 de Ruinart […]. J’ai dû m’avouer battu, car la maison prononce son Ruinart "the best wine they ever had". »), p.38 (lettre du 23 mars 1863 : « […] Robert Little, qui est un amateur passionné du Perrier-Jouët, l’a comparé avec notre C.B. sec…») et p.55-56 (lettre du 10 décembre 1865)
[42] C.C.H., p.38 - lettre datée du 23 mars 1863 : « […] Avant de quitter Liverpool, j’ai délivré 17 bouteilles de C.B. entre 8 bonnes maisons. Ce vin est maintenant en bonne condition, et comme ces dégustations sont toujours faites entre négociants ou par un cercle de consommateurs, elles contribueront beaucoup à nous faire connaître.»)
[43] Cf. chapitre III : Une conception du champagne en jeu
[44] C.C.H., p.24 - lettre du 27 novembre 1861: il qualifie le goût anglais de « vicié », goût qu’il oppose aux vin fruités de la Maison.
[45] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 27 juillet 1864 (45, 441)
[46] Lettres adressées à A. Hubinet datées des 7 et 13 mai 1861 (34, 23 et 120), du 22 septembre 1864 (35,128)
[47] Lettre adressée à A. Hubinet datée de mars 1862 (377, 268)
[48] C.C.H., p.24 (lettre datée du 11 novembre 1861) - Voir également lettre du 27 novembre 1861
[49] C.C.H., p.27-28 - lettre datée du 11 janvier 1862
[50] C.C.H., p24-25 - lettre datée du 27 novembre 1861
[51] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 21 mars 1862 (377,111)
[52] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 22 mai 1862 (377, 449)
[53] Cf. chapitre III : La revendication d’un cachet propre
[54] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 19 avril 1863 (378, 298 : il fait référence aux maisons Clicquot et Roederer, où « le sirop est dominant ») - Voir également lettres datées du 7 avril 1863 (378, 214 : la Maison demande à A. Hubinet « d’imposer le produit tel quel avec son cachet particulier », et non copier Roederer ou changer perpétuellement le dosage), d’août 1863 (?, 443), du 9 octobre 1863 (?, 92)
[55] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 22 mai 1862 (377, 449)
[56] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 29 janvier 1862 (36, ?) - Voir également lettres du 31 janvier 1862 (36, ? : H. Vasnier lui dit que la Maison ne tient à « changer sans arrêt d’opération »)
[57] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 23 mai 1861 (34, 120)
[58] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 15 février 1862 (36, 440)
[59] Lettre adressée à A.
Hubinet datée du 8 juin 1863 (?,31) : dans cette
lettre, H. Vasnier critique les «
tripotages honteux » auxquels se livrent les maisons Perrier-Jouët et
Bollinger, précisant que « tout le monde
[le] sait en Champagne, mais [que] le commerce anglais ne veut rien en croire.
»
[60] Lettre adressée à Hubinet datée de mai 1872 (385, 215)
[61] Lettre adressée à A. Hubinet datée de mars 1863 (378, 131) : la Maison insiste sur la nécessité de solliciter régulièrement les clients pour recouvrer les créances ; il faut « bien habituer les clients ».
[62] Lettre adressée à Hubinet datée de mai 1872 (385, 156)
[63] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 21 décembre 1872 (?, 172) : « […] C’est au négociant acheteur qu’incombe le soin de laisser mûrir le vin dans sa cave s’il veut contenter sa clientèle et non dans la nôtre, c’est comme cela que cela se passe pour les Bordeaux et les Bourgognes, il n’y a pas de motif pour que le Champagne fasse exception. »
[64] Lettre adressée à Hubinet datée de mai 1872 (385, 215) : d’après cette lettre, A. Hubinet a réussi avec le temps à faire adopter ce système de traite.
[65] Lettre adressée à A. Hubinet datée de février 1873 (387, 77)
[66] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 22 septembre 1864 (46, 128 : « […] lorsque les préventions existant toujours contre une nouvelle marque sur le marché sera tombée, vous verrez qu’on nous rendra justice.») - Voir également C.C.H., p.63 (lettre datée du 6 mai 1867 : « […] Quoique nouvelle Marque, nous jouissions de presque autant de considération que les Marques les mieux connues… »)
[67] C.C.H., p.9 - lettre datée du 24 mars 1861
[68] Devroey J.P., op. cit., pp.74-75 : l’auteur nous précise que le deuxième quart du XIXème siècle est marqué par la décadence rapide des restaurants d’hôtel londoniens et l’expansion à un rythme aussi accentué du système des clubs, où le champagne devient le compagnon presque obligatoire du gentleman solitaire.
[69] C.C.H., p. 22 (lettre du 4 septembre 1861: « […] Nos prix élevés ne me permettent de voir que les maisons les plus importantes…»), p.28 (lettre du 15 janvier 1862 : « […] Il y a environ 1200 négociants en vins à Londres. Il n’en est pas beaucoup plus du dixième qui valent la peine d’être visités. »)
[70] C.C.H., p.29 - lettre datée du 22 mars 1862
[71] C.C.H., p.29 -
lettre du 1er avril 1862 : « […]
Dans des circonstances aussi défavorables, il m’est presque impossible de faire
accepter le prix de la C.B. et ce n’est qu’avec cette qualité que nous puissions
faire brèche. A l’exception de Roederer, nos prix sont plus élevés que ceux de
toutes les autres maisons. »
[72] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 21 novembre 1864 (46, ?) : la Maison critique le prix de vente de la Carte Blanche, « bradée », or elle ne peut « se résoudre à vendre sans profit ».
[73] Cf. chapitre III : L’orientation vers la qualité
[74] C.C.H., p.27 - lettre datée du 11 janvier 1862 : « […] Vous avez un vin que nous pouvons appeler, entre nous, le meilleur que l’on puisse trouver ici ; il est destiné à beaucoup de succès…»
[75] C.C.H., p.9 - lettre datée du 26 mars 1861 : « […] Plus de 10 maisons du West End m’ont
demandé à goûter le Crémant ou le Verzenay. Il y a des affaires à faire dans
ces deux qualités. Il y a très peu de champagne équivalent sur le marché. Il
n’y a rien à faire pour le moment en qualités inférieures, c.à.d. Sillery et
Bouzy. La place en est remplie. »
[76] Cf. chapitre III : Un recentrage sur les vins de qualité
supérieure
[77] Cf. infra : Un marché exigeant
[78] C.C.H., p.9 - lettre datée du 24 mars 1861: A. Hubinet y sollicite une maison qui prétende « représenter le goût des clubistes du West End.»
[79] C.C.H., p.50-51 - lettre datée du 5 mars 1865
[80] C’est du moins le discours que H. Vasnier tient à A. Hubinet dans la lettre où il lui annonce que la Maison consent à cette stratégie (lettre adressée à A. Hubinet datée du 11 mars 1865 - 47, 453).
[81] C.C.H., p.12 (lettre datée du 1er mai 1861) - Voir également p.9 (lettre datée du 26 mars 1861 : « […] Je vois de plus en plus qu’ici, à Londres, le goût presque général est aux vins excessivement secs. Je désirerais avoir aussitôt que possible mes échantillons de Verzenay très sec et aussi des échantillons de Crémant plus sec que ceux que m’a remis M. Kniep. Perrier a eu un succès immense avec ses vins de 1857. »)
[82] C.C.H., p.24 (lettre datée du 27 novembre 1871)
[83] C.C.H., p.9 (lettre datée du 24 mars 1861 : « […] Voici leur opinion : le premier, trop sucré, trop de liqueur. Le second, trop sucré, pas assez d’âge. Le troisième, trop sucré, trop lourd. Ils reconnaissent pourtant que la nature du vin est très riche. Ils prétendent représenter le goût des clubistes du West End. D’autres, bien entendu, trouvent le vin excellent. »), C.C.H., p.24 (lettres datées des 11 et 27 novembre 1861)
[84] C.C.H., p.12 (lettre datée du 1er mai 1861 : « Je puis résumer comme suit, Madame, les différents opinions qui ont été émises sur le Verzenay et le Crémant de votre dernier envoi : bouquet délicieux - beaucoup de vinosité - un peu d’acidité qu’il faudra absolument éviter - pas assez fait, et pour cela n’en veulent à aucun prix. »), C.C.H., p.24 (lettre datée du 11 novembre 1861 : « […] notre vin a été trouvé plus délicat mais moins riche et trop sucré. »)
[85] C.C.H., p.47 - lettre datée du 18 septembre 1863
[86] Cf. infra : Le "goût anglais"
[87] C.C.H., p.37 - lettre datée du 16 février 1863
[88] C.C.H., p.53 - lettre datée du 21 octobre 1865 : « […] Il nous faut à présent trois opérations de C.B. mais je vais surtout pousser à la vente de C.B.F. et de la C.B.A. à 6%. J’espère bien pouvoir supprimer l’opération intermédiaire d’ici deux ans. »
[89] Cf. chapitre II : Assurer le développement de la marque
[90] C.C.H., p.32 (lettre datée du 7 septembre 1862) - Voir également p.24 (lettre datée du 11 septembre 1861 : « […] Les autres maisons ont fait emplettes à peu près à la même époque d’une grande quantité de drogues à prix élevés, de Ruinart, Montebello etc… marques qu’il nous sera bien facile de battre quand nous aurons des vins plus secs, assez vieux opérés pour qu’ils se boivent plus ronds et quand nous nous présenterons en temps propice. » )
[91] De Polignac A., op. cit., p.38 - H. Vasnier évoque également cette spécificité des vins destinés au marché anglais (C.C.H., p.77 - lettre adressée à A. Hubinet datée du 14 juin 1871 : « […] Du reste, la dose de 2% est tellement insignifiante qu’on peut en quelque sorte s’imaginer que l’on absorbe du vin brut et le temps seul peut lui donner ce moelleux et cette rondeur que l’absence de liqueur ne peut lui donner. » )
[92] Cf. infra : Des contraintes propres au marché anglais
[93] Carte Blanche cachet Anglais "Dry" (Sec) - cuvée 157
[94] C.C.H., p.63 - lettre datée du 6 avril 1867
[95] C.C.H., p.40 - lettre datée du 11 avril 63 : « Je suis enchanté d’apprendre que vous travaillez ferme à avoir des vins faits longtemps à l’avance ; c’est là le grand point. Employez-y pour y arriver tous les moyens possibles… »
[96] C.C.H., p.43 (lettre du 6 juin 1863), p.50-51 (lettres du 12 février et du 6 mars 1865), p.51 (lettre datée du 5 avril 1865 : « […] Je maintiens ce que je n’ai jamais cessé de vous répéter depuis trois ans qu’il me serait plus facile d’obtenir de grands prix pour des vins vieux opérés que des prix réduits pour les meilleurs vins du monde nouvellement opérés. »), p.58 (lettre du 21 avril 1866 : « […] Depuis que je suis à Londres, je n’ai jamais eu les moyens de profiter de la saison pour y bien introduire nos vins. Je ne puis le faire qu’avec un grand stock de vins très secs prêts à boire. […] J’ai presque l’intention de ne plus rien offrir en fait de vins secs d’ici à la fin de l’année. Ce serait renoncer au West End pour un an. Mais cela me paraît nécessaire pour ne pas gâcher deux saisons.»), p.59 (lettre du 9 juin 1866)
[97] C.C.H., p.49-50 - lettre datée du 11 septembre 1864
[98] C.C.H., p. 50 -
lettre du 12 février 1865 : « […]
Vous êtes d’une lenteur extrême dans vos expéditions ; deux ordres de
demies C.B. m’ont été supprimés ces jours derniers. Ce qui est vexant, ce n’est
pas la perte qui en résulte, c’est l’avantage que cela donne à la concurrence.»
[99] C.C.H., p.57 - lettre datée du 1er janvier 1866 : « […] Il faut décidément que nous prenions une décision à l’égard du Bureau de Paris. Nos concurrents représentent au Commerce anglais que nous y faisons le détail avec l’Angleterre et même que le Bureau de Paris réfère au Bureau de Londres (à cause de l’adresse peinte sur la porte). Je puis vos citer plusieurs cas dans lesquels vous avez expédié des vins directement à des particuliers de Londres. Il faudrait que toutes les demandes de vins faites par des Anglais résidant en Angleterre ou dans les Colonies Anglaises me fussent soumises. Je verrai s’il y a du danger à expédier directement, et dans presque tous les cas, le suis sûr que je réussirais à les faire acheter nos vins par l’intermédiaire de leurs fournisseurs ordinaires ; cela nous créerait des nouveaux clients et produirait un excellent effet sur le commerce en général, car ces choses-là se répètent… »
[100] C.C.H., pp.53-54 (lettre datée du 23 octobre 1865), p.61 (lettre datée du 11 janvier 1867)
[101] C.C.H., p.84 - lettre datée du 10 mars 1872
[102] C.C.H., p.75 - lettre datée du 12 mars 1871
[103] C.C.H., p.65 (lettre datée du 29 juin 1867 : « […] Il est fâcheux que nous n’ayons pas de vin ; le mois prochain, je me ferais fort de placer 15.000 bouteilles à Londres. »), p.68 (lettre datée du 27 novembre 1867 : « [...] Encore une fois, pourquoi n’avons-nous pas fait 300.000 bouteilles de 163 ? Nous aurions donné beaucoup de fil à retordre aux autres maisons de champagne, je vous l’assure…»)
[104] H.M.P., p.40 : l'auteur y rapporte que Mme Pommery a informé A. Hubinet que la Maison mettra à sa disposition 163.000 bouteilles pour vendre sur le marché anglais. Il ajoute que « c'est la première fois qu'uns cuvée aussi considérable est réservée à un seul agent. »
[105] Cf.
chapitre VII : La spectaculaire
progression des ventes de la maison Pommery
[106] C.C.H., p.67 - lettre datée du 15 septembre 1867 : « […] Quand nous aurons enfin des vins qui pourront être suivis pendant quelques temps, le nombre de ces échantillons diminuera considérablement. Exemple la cuvée 163. Combien peu d’échantillons en proportion de la quantité. Prenez l'exemple de Perrier-Jouët. Toutes grandes cuvées. Je suis persuadé que la vente de 100.000 bouteilles ne leur demande pas le sacrifice de 50 échantillons. »
[107]
C.C.H., p.63 - lettre datée du 6 avril 1867
[108] Nous avons déjà précédemment souligné que l’année 1865 a produit des cuvées exceptionnelles en Champagne.
[109] Cf.
chapitre VII : Une volonté de diversifier
les débouchés
[110] C.C.H., p.68 - lettre datée du 27 novembre 1867 : « [...] Encore une fois, pourquoi n’avons-nous pas fait 300.000 bouteilles de 163 ? Nous aurions donné beaucoup de fil à retordre aux autres maisons de champagne, je vous l’assure…»
[111] C.C.H., p.82 (lettre du 11 novembre 1871 : « […] Si vous m’aviez bien secondé, nous ferions quatre fois le chiffre d’affaires que nous faisons actuellement, et je vous aurais peut-être fait l’Amérique par-dessus le marché.»), p.87 (lettre datée du 14 novembre 1872 : « […] Cela fera faire des comparaisons qui tourneront toutes à nos dépens, et votre réputation sera à refaire pour la 2 ou 3ème fois. Ce n’est pourtant pas ma faute si votre stock n’est jamais à la hauteur de la situation. Nous aurions pu vendre 200.000 bouteilles de plus de 1868 et conserver notre bonne réputation et notre clientèle.» ), pp.88-89 (lettre du 23 octobre 1873)
[112] C.C.H., p.85 - lettre datée du 16 septembre 1872
[113] C.C.H., p.86 - lettre datée du 18 septembre 1873
[114] C.C.H., p.88 - lettre datée du 20 octobre 1873 : « […] Cependant, d’après ce que m’ont dit tous les clients que j’ai vus dernièrement, nos vins sont déjà presque impossibles à vendre à nos prix actuels, et dans beaucoup de cas, les consommateurs nous quittent pour acheter des marques un peu meilleur marché. Je suis sûr que nos vieux clients vendront beaucoup moins de nos vins, mais vu la popularité que nous avons acquise, nous accroîtrons notre clientèle et je vous garantis que comme quantité vous pouvez marcher de l’avant. Nous pourrions doubler nos affaires… »
[115] C.C.H., p.83 - lettre datée du 23 novembre 1871 : « […] Après quelques années d’une telle politique, nous sommes sûrs de commander au marché ; on se disputera nos bonnes cuvées et au lieu d’en passer par toutes les conditions des négociants, nous dicterons les nôtres ! »
[116] Cf.
chapitre III : Une certaine idée du
champagne
[117] C.C.H., p.33 - lettre datée du 23 octobre 1865 : « […] il finirait par nuire à la réputation de délicatesse et d’élégance que nous avons déjà acquise.»
[118] C.C.H., p.66 - lettre datée du 15 septembre 1867 : « […] Le 167 ne plaît à personne ; on ne le trouve pas délicat ; on me dit avec raison qu’il diffère complètement de notre "ordinary style". »
[119] Lettre adressée à A. Hubinet datée du 11 mars 1872 (81, 114) - Voir également, concernant la cuvée 1873, les lettres datées des 7 et 21 novembre 1874 (389, 135 et 235) et du 3 avril 1875 (391, 93)
[120] C.C.H., p.33 - lettre datée du 23 octobre 1865
[121] H.M.P., p.40 - lettres adressées à A. Hubinet datées des 4 mai (« […] Nous vous prions de vouloir bien vous en rapporter à nous, attendu que si nous vous reconnaissons habile à la vente, nous nous croyons infiniment plus capables que vous de les opérer à la dose qui leur convient plus particulièrement. ») et 20 mai 1867
[122] C.C.H., p.70 - lettre datée du 27 février 1868
[123] C.C.H., p.76 (lettre datée du 8 mai 1871 : « […] Si vous aviez du courage, vous opéreriez toute le cuvée 183 à 2% […] Le 183/2 est un vin magnifique ; le 183/3 est un vin gâté par la liqueur. […]Le 183/2 vous fera beaucoup de réputation ; le 183/4 ne vous en fera presque pas parce qu’il sera bu par des consommateurs moins bien posés et moins connaisseurs que ceux qui boiront le 183/2.»), p.77 (lettre datée du 8 juin 1871 : « […] En supposant que le 183/2 soir vraiment raide, que toutes les bouteilles soient dures, raides, il ne tardera pas trop longtemps à devenir moelleux et ce sera un vin hors ligne dont on parlera longtemps. Si nous l’opérons à plus de 2%, il sera plus vite prêt à boire, mais il sera moins grand, moins franc, moins fin. »)
[124] Cf.
infra : Un manque de moyens ?
[125] C.C.H., p.83 - lettre datée du 23 novembre 1871
[126] Lettre adressée à A. Hubinet datée de mai 1872 (385, 215) : « […] continuer nos sacrifices […] en vue de produire des vins exceptionnels qui puissent défier victorieusement toute concurrence, point capital pour arriver au premier rang et n’en pas déchoir. »
[127] C.C.H., p.75 (lettre datée du 12 mars 1871 : « […] Nous avons souvent parlé des inconvénients qui résultaient de l’achat de cuvées. Une chose pire encore est d’en faire, pour l’Angleterre, dans les années qui ne sont pas tout à fait réussies. Les années médiocres font faire un recul considérable à la Marque. »)
[128] Cf.
infra : La vision du marché anglais
développée par la maison Pommery
[129] C.C.H., p.54 - lettre datée du 18 novembre 1865
[130] En marge de cette lettre, A. Floquet précise qu’il a relevé une annotation de la main de H. Vasnier : "Très juste".
[131] C.C.H., p.68 - lettre datée du 28 novembre 1867
[132] C.C.H., p.81 - lettre datée du 30 octobre 1871 : « […] nous aurons le mérite d’être plu secs que tous nos concurrent, ce qui constituera une spécialité plus marquée. Nous en recueillerons les fruits pour l’avenir…»
[133] C.C.H., p.69 - lettre adressée à Mme Pommery datée du 28 décembre 1867.
[134] C.C.H., p.76 (lettre datée du 8 mai 1871 : « […] Si vous aviez du courage, vous opéreriez toute le cuvée 183 à 2% […] Le 183/2 est un vin magnifique ; le 183/3 est un vin gâté par la liqueur. […]Le 183/2 vous fera beaucoup de réputation ; le 183/4 ne vous en fera presque pas parce qu’il sera bu par des consommateurs moins bien posés et moins connaisseurs que ceux qui boiront le 183/2.»), pp.81-82 (lettre du 11 novembre 1871 : « […] Tant que vous ne me ferez pas plus de vin dans les grandes années, je ne pourrai les vendre qu’en Extra-Sec, car il faut d’abord servir les maisons de premier ordre qui nous prennent cette marque…»), p.83 (lettre du 23 novembre 1871)
[135] Voir également C.C.H., p.88 - lettre datée du 23 octobre 1873 : « […] Nous voilà presque sans 194, c’est-à-dire sans vin propre à faire de l’Extra-Sec. La cuvée 200, même à 5 1/2% pourrait faire du tort à la marque Extra-Sec qui n’est bue que par des connaisseurs.»
[136] Cf.
infra : Un manque de moyens ?
[137] C.C.H., p.77 (lettre de H. Vasnier adressée à A. Hubinet datée du 14 juin 1871) - Voir également C.C.H., p.83 (lettre du 23 novembre 1871: « […] Vous me répétez pour la centième fois qu’il est de mauvaise politique de pousser aux vins très secs. Je vous répond de nouveau que les grandes maisons de Londres, Dublin, Edinburgh, dont les clientèles sont distinguées n’achètent que des vins secs. ». La remarque de Hubinet nous montre que cet échange de point de vue avec la Maison est récurrent, ce qui nous prouve combien ses difficultés à accepter cette orientation.