Témoignage de Madame Astrid DEMANGE

Je m’appelle Astrid Demange. J’ai commencé à travailler chez Simonnet lorsque j’avais 20 ans. A l’époque, j’habitais à Sermaize-les-Bains. Je venais travailler à bicyclette et il m’est même arrivé de venir à pied lorsqu’il y avait de la neige. Ensuite, on m’a fourni un logement. Mais, le directeur était rusé car, en fournissant un logement, il tenait ses ouvriers.
Logement en bois
 

A l’époque, toutes les usines avaient besoin de beaucoup de main d’œuvre. Si on voulait aller ailleurs, on devait quitter le logement. On était donc plus ou moins obligé de rester. Au départ, les logements étaient surtout des baraquements en bois. Ensuite, ils étaient en briques.

Cités ouvrières de l’usine Simonnet au Chemin Cordier

 

Les carrières se trouvaient au Chemin Cordier. La terre était transportée directement du lieu d’extraction à l’usine par des petits wagonnets qui circulaient sur des voies ferrées. Parfois, des wagons déraillaient. C’était très difficile car ils étaient lourds quand ils étaient chargés de terre. Il fallait s’arc-bouter le long des wagonnets et pousser de toutes ses forces pour les relever.
Wagons tirés par un petit trolley
 

Vue aérienne de la tuilerie Simonnet

Moi, je travaillais sur les presses. Il y avait quatre moules sur chaque presse. Lorsque la terre avait subi toutes les étapes et qu’elle se présentait sous la forme de galettes, elle était prise par un homme, le plaqueur, qui mettait la galette sur la presse. De l’autre côté se trouvait une femme qui la recueillait et qui devait enlever toutes les bavures. C’était très fatigant d’être à la presse car nous étions payés à la tâche et plus on faisait de produits, plus on était payés. Le rythme était très rapide. On était obligé de suivre les autres. On ne pouvait donc pas s’arrêter pour se reposer. En plus, nous n’étions pas loin des fours et des séchoirs et il faisait très chaud. Les accessoires étaient faits à la main. La terre était plaquée sur un moule par un homme et une femme ébavurait.

Quand on recueillait les « pieds fers », sortes de hourdis, on les mettait sur une balancelle. Une personne se trouvait en haut pour les récupérer. Ensuite, les produits étaient empilés dans un chariot qu’une autre personne roulait pour le monter au séchoir dans un ascenseur. C’était une femme qui s’occupait de l’ascenseur à chariot. Au 3 ème étage, il y avait un séchoir et on étalait les briques sur un plancher. Quand les briques étaient sèches, on les empilait sur 2, 3 ou 4 hauteurs. A la sortie du séchoir, les enfourneurs venaient décharger le chariot et mettaient les produits sur un autre chariot pour les emmener au four. Les wagonnets n’entraient pas dans le four.

On disait que la tuile Simonnet était la meilleure des tuiles. C’était sans doute vrai car l’an dernier, j’ai fait refaire la toiture de ma maison. Les tuiles avaient 70 ans et n’étaient pas encore abîmées.

- Combien de temps avez-vous travaillé chez Simonnet  ?

J’y ai travaillé 15 ans car ensuite, l’usine a fermé.

Ouvriers sur la rampe où les wagonnets étaient tirés par un treuil lorsqu’ils arrivaient du terrier avant que la terre ne soit vidée sur un tapis roulant

- Est-ce que vous aviez des pauses  ?

On arrêtait parfois les presses pour nettoyer les moules car il y avait des cailloux. On changeait aussi les moules régulièrement. Si on voulait faire une pause, il fallait quelqu’un pour nous remplacer car on travaillait à la chaîne. Ce n’était pas facile. On avait droit à une pause casse-croûte.

- Qui s’occupait des fours  ?

Au dessus du four, il y avait le cuiseur. C’était un homme qui mettait sans cesse de la poussière de charbon dans les gamelles pour alimenter le four jusqu’à ce que d’autres ouvriers défournent. Il y avait aussi deux maçons car, à chaque cuisson, on murait provisoirement des portes arrondies d’environ 1,25 m et on cassait les portes pour défourner les produits. Les enfourneurs étaient des ouvriers qui plaçaient les produits dans le four et les défourneurs, ceux qui les retiraient.

Four Hoffmann de la tuilerie Simonnet

- Vous a-t-il fallu du temps pour vous adapter à votre travail ?

Il fallait s’adapter au travail dès les premiers jours car sinon, on était renvoyé. C’était un travail très pénible à cause de la chaleur et de la poussière. Une fois, un ventilateur était en panne. Pendant 15 jours, on a eu l’odeur et la chaleur du séchoir. C’était très dur !

- Quel a été votre poste le plus difficile  ?

A la dernière usine, la 4, on faisait des gros hourdis qui pesaient 14 kg. On était payé à l’heure, mais le rythme était encore rapide et c’était très fatigant.

Facture de la tuilerie Simonnet

- Est-ce que les ouvriers pointaient  ?

Il n’y avait pas de pointeuse. On faisait 8 h par jour. On pouvait faire des heures supplémentaires. Quand les ouvriers avaient fait leur compte de tonnage, ils pouvaient partir.

Ancienne usine Simonnet

- Combien gagniez-vous au début  ?

Je gagnais 600 anciens francs par mois quand j’ai commencé.

- Combien étiez-vous d’ouvriers ?

En 1960, on était environ 60.

Derrière les ouvriers, on voit le réfrigérant qui servait à refroidir l’eau des chaudières

- Est-ce que vous travailliez par équipes ?

On travaillait par équipes. Moi, j’ai fait les trois huit. Je préférais travailler de 4 h à midi. Je n’aimais pas travailler l’après-midi.

- Est-ce que vous voyiez le patron  ?

On ne voyait pas le patron. On avait affaire au directeur, au sous-directeur et aux contremaîtres. J’ai vu le patron en 68, au moment des grèves . Nous avons fait grève pendant huit jours. Peu de temps après la reprise du travail, les meneurs ont été licenciés.

Entrée du four de la tuilerie Simonnet

 - Est-ce qu’il y avait des accidents  ?

Oui, il y en avait. Un homme qui s’occupait du malaxage de la terre a été électrisé au moment où il ajoutait de l’eau. Un fil devait sans doute traîner. Il a pu être sauvé. Moi, j’ai été blessée au pied. On n’avait pas de chaussures de sécurité. On travaillait sur des vieux planchers en bois. Un jour, une grosse pointe est entrée dans mon pied. J’ai dû arrêter quelques jours. Une autre fois, il y avait un problème avec une machine. Je n’ai pas voulu attendre l’électricien car, lorsqu’on l’appelait, il ne venait pas tout de suite et, comme on était à la tâche, on perdait de l’argent. J’ai essayé de réparer, mais j’ai été projetée en arrière et j’ai eu le bout des doigts brûlés.

Deux dernières fiches de paie de Mme Demange avant son licenciement

Publicité pour la tuile Simonnet recto et verso

- Est-ce qu’il y avait un sonneur  ?

Il n’y avait pas de sonneur. C’était le défourneur qui frappait des tuiles les unes contre les autres pour voir si elles n’étaient pas fêlées.

- Est-ce que les chefs étaient sévères  ?

Non, les chefs n’étaient pas sévères.

- Comment les tuiles étaient-elles expédiées  ?

Les produits voyageaient par camions ou par wagons. Il y avait une voie ferrée qui traversait la route devant l’usine et qui allait directement à la gare.

Couverture du catalogue de 1914

- Est-ce qu’il y avait une bonne ambiance à l’usine  ?

Généralement, oui ; mais parfois, les ouvriers se battaient entre eux ou avec les chefs pour des histoires de jalousies. Quand les gens ont su que l’usine allait fermer, il y a eu des saboteurs. Il fallait démonter les presses et on retrouvait des boulons qui avaient dû être jetés dans la terre ou sur les tapis qui amènent la terre.

Vue aérienne de l’usine Simonnet

Vestiges des derniers bâtiments de l’usine Simonnet en 1990

- Pourquoi l’usine a-t-elle fermé  ?

Elle commençait à vieillir. Les usines 1, 2, 3 ont été arrêtées . Il n’y avait plus que la 4 qui tournait. L’unité 4, était beaucoup plus moderne, mais c’était trop tard. On était une vingtaine dans cette unité. Le four était au fuel. La direction n’a pas voulu investir dans de nouvelles presses, dans du nouveau matériel. Ça tournait bien pourtant ! Peu à peu, les gens ont commencé à être licenciés. Ma mère travaillait avec moi. Elle a été reprise chez Gilardoni, quand ils ont racheté l’usine, mais elle a été licenciée au bout d’un an.

Enveloppes de la tuilerie Simonnet

Je suis restée la dernière femme à l’usine avant qu’elle ne ferme car je devais faire mon préavis de deux mois. Il n’y avait plus que des hommes et on s’ennuyait car on n’avait plus rien à faire !

Démolition du dernier bâtiment de l’usine Simonnet